Chapitre XV


LE ZÉRO ABSOLU ET LA COURSE AU FROID

 

Objectif

La détermination du zéro absolu et la course au froid ne constituent pas un « problème » de chimie. Néanmoins, ce fut un sujet d’intérêt important tant pour les physiciens que pour les chimistes. À ce titre, il vaut la peine de regarder ces problématiques.

Question :
   - Comment obtient-on des températures proches du zéro absolu ?
   - Quelles sont les propriétés de la matière au voisinage du zéro absolu ?

Objectif :
   - Compléter la connaissance de l'influence de la température sur certains matériaux.

 

 


 

1.  Préambule


La notion de « zéro absolu » attribuée à Lord KELVIN pour la théorie est en fait due à CHARLES et GAY-LUSSAC (1802). En extrapolant leurs mesures de compressibilité des gaz, ces derniers avaient, en effet, montré que le volume occupé par n’importe quel gaz devenait nul à cette température (0 K ou – 273 ºC). En fait cette observation avait déjà été faite par Guillaume AMONTONS quelques années plutôt. Son calcul le conduisait vers – 240 ºC.


2. Quelques dates

Michael FARADAY réussit en 1823 à liquéfier le chlore. Il liquéfie en fait plusieurs gaz. Il forgeât même l’expression "gaz permanent" pour identifier ceux qui résistaient à ses tentatives. L’hydrogène et l’oxygène comptaient parmi ces derniers.

En décembre 1877, indépendamment l’un de l’autre, Louis CAILLETET et Raoul PICTET liquéfient l’oxyde de carbone pour le premier et l’oxygène pour le second. PICTET précise les conditions d’obtention de l’oxygène: 320 atmosphères et – 140 ºC. Il faut rappeler ici l’enjeu économique important qu’il y avait derrière la liquéfaction de l’oxygène. En effet, les sidérurgistes comptaient sur ce liquide pour améliorer les performances des unités de raffinage de la fonte pour obtenir des aciers de meilleure qualité.

En 1893, James DEWAR invente le vase qui porte son nom et qui est si utile pour la conservation, même momentanée, des gaz liquéfiés. Ce même DEWAR liquéfie l’hydrogène en 1897.

En juillet 1908, à Leydes, Kamerlingh ONNES liquéfie l’hélium. Cet élément posait un cas particulier. Tout d’abord les sources d’hélium étaient plutôt rares. Ce composé venait à peine d’être identifié. Lors d’une éclipse de Soleil (août 1868), on observe une raie intense, jaune, qui ne peut être attribuée à aucun élément connu. Elle appartenait donc à un nouvel élément appelé hélium (helios, soleil en grec). Abondant dans la couronne solaire, ce n’est pas le cas sur Terre! On le trouvait alors dans la pechblende, un minerai radioactif. L’émission de rayons a (He++) conduit à la formation d’hélium qui reste adsorbé sur la surface du solide. Il fallait donc obtenir ce minerai et le chauffer sous vide pour désorber et récupérer le gaz. K. ONNES utilisa plutôt la monazite, un phosphate naturel de thorium, lui aussi radioactif. Il obtint (avec son équipe) quelque 360 litres de ce gaz. La température critique de l’hélium fut estimée en 1906 à quelque 6 K, en dessous de laquelle température on devait observer le liquide. ONNES réussit à le liquéfier en 1908.

Évidemment, l’étape ultérieure consistait à rechercher et à observer l’hélium solide. ONNES s’essayât et observât à 2,19 K une transition qui en fait se révélât n’être que le passage vers une deuxième phase liquide, phase appelée He II. Cette phase présente des propriétés bien particulières, suffisantes pour aiguillonner les réflexions des théoriciens de la physique de l’état condensé. À partir de 3 K et en diminuant la température, on observe une augmentation de la chaleur spécifique ainsi que de la densité. À 2,19 K et plus bas, ces deux propriétés voient leur valeur absolue décroître (figure 15.1). L’ébullition (bouillonnement) observée au-dessus de 2,19 K devient absente en dessous de cette valeur et le liquide devient superfluide. Cette figure montre que la variation de la chaleur spécifique épouse assez fidèlement le tracé de la lettre l d’où l’appellation de température l de l’hélium: Tl = 2,19 K. Au-dessus de cette température, tous les gaz sont en ébullition, à tout le moins ceux dont la température d’ébullition est inférieure à la température de leur environnement. En-dessous de Tl, le bouillonnement cesse. La diminution subséquente de la température entraîne une diminution de l’agitation thermique. Par ailleurs, la viscosité devient presque nulle, la tension de surface devient très élevée, ... Un laboratoire de Toronto a apporté une contribution importante à ces observations. La figure 15.2 précise le diagramme de phase de l’hélium 4.

En ce qui a trait à l’hélium solide, c’est l’un des collaborateurs de ONNES, W. H. KEESOM qui après avoir pris sa succession à la direction du laboratoire de Leyde réussira cette solidification en opérant sous pression (150 atm et à 4,2 K).

 

Figure 15.1. Le changement de structure liquide.

 

Figure 15.2. Diagramme de phase de l’hélium 4.
(tiré de La guerre du froid, Matricon, J. et G. Waysand, Seuil, Paris, 1994).


3. La liquéfaction d’un gaz

La liquéfaction d’un gaz peut s’obtenir de plusieurs façons. La première fait appel à l’augmentation de la pression, la seconde à la diminution de température. Une troisième méthode combine les deux précédentes.


   a- La liquéfaction par compression

On peut, par compression suffisante, liquéfier, par exemple à la température ordinaire, tous les gaz dont la température critique est supérieure à la température de l’expérience. Par exemple le gaz carbonique, CO2, a une température critique, TC = 31 ºC. Pourvu que la pression soit suffisante, on peut le liquéfier à 20 ºC.


    b- La liquéfaction par refroidissement

L’ammoniac, par exemple, peut être liquéfié pourvu que sa température soit amenée en dessous de sa température crique (TC(NH3) = 130 ºC). Ce sera le cas lorsque l’on plonge ce gaz dans un bain de neige carbonique (– 79 ºC).


    c- Liquéfaction par combinaison de compression et de refroidissement

Il existe des variantes de ce procédé.


c-1 La détente

Un gaz s’échauffe quand on le comprime. Les cyclistes ont expérimenté ce phénomène en utilisant leur pompe à bicyclette. En comprimant l’air dans la partie inférieure de la pompe pour gonfler le pneu, celle-là s’échauffe. De la même manière, mais de façon opposée, un gaz se refroidit énergiquement par une brusque augmentation de volume. Supposons que l’on détende brutalement à 10 atmosphères de l’oxygène préalablement comprimé sous 300 atm à la température ordinaire. La température de l’oxygène descend à – 170 ºC. La température critique de ce gaz est telle que TC = – 160 ºC. Comme la pression de vapeur saturante de l’oxygène est inférieure à 10 atm à cette température, il en résulte que des gouttelettes très fines d’oxygène liquide se forment au sein du gaz. On aperçoit la formation d’un brouillard blanc, opaque qui envahit la phase gazeuse. Si l’on effectue la même opération avec de l’oxygène préalablement refroidi, par exemple avec de la neige carbonique, on obtient véritablement l’oxygène liquide. Industriellement, cette détente se réalise, non pas de manière brusque, mais de façon continue dans une machine de LINDE (Fig. 15.3) et dans les appareils de CLAUDE.

Le principe de l’appareil de LINDE est schématisé dans la figure 15.3. L’air sous 300 atm circule dans un tube lui-même entouré d’un tube dans lequel circule de l’air détendu (20 atm et refroidit). Une valve de détente contrôle le procédé. L’appareil est évidemment très bien isolé thermiquement. Dans le cas de l’appareil de CLAUDE, la détente est effectuée par un piston (Fig. 15.4). Lorsque l’échangeur de chaleur est bien refroidi, on y permet le passage d’une fraction de l’air à l’intérieur et l’air s’y liquéfie.

Figure 15.3. Schéma de la machine de LINDE.

 

Figure 15.4. Schéma de l’appareil de CLAUDE.

    d- La démagnétisation adiabatique (voir aussi le réfrigérateur à démagnétisation adiabatique figure 15.5)

Le système de refroidissement adiabatique est constitué :

  1. d’une masse de substance paramagnétique comme un sel (un sulfate double d’ammonium et de fer ferrique, par exemple);
  2. d’un électroaimant qui va provoquer le réchauffement et le refroidissement de la substance paramagnétique;
  3. d’un système d’évacuation de l’énergie libérée dans la substance paramagnétique.

Le fonctionnement est le suivant :

  1. Dans un premier temps, un champ magnétique est imposé à la substance paramagnétique : la température s’élève;
  2. Le système est alors mis en contact avec une zone plus froide (de l’hélium liquide, par exemple). L’énergie accumulée dans la substance paramagnétique est alors acheminée vers l’extérieur.
  3. La substance paramagnétique est isolée de l’évacuateur d’énergie et le champ magnétique est rapidement ramené à zéro. La température de la substance paramagnétique descend rapidement et refroidit ce qu’elle doit refroidir.

Ce système à l’inconvénient d’opérer de manière cyclique de telle sorte qu’il est difficile de maintenir le système à refroidir à une température convenable en permanence. Pour des expériences dans lesquelles la température doit être maintenue en permanence en dessous de 1 K, le système est peu efficace. Des systèmes à plusieurs étages sont maintenant disponibles : ils éliminent cet inconvénient car ils peuvent maintenir en quasi permanence une température aussi basse que 0,065 K (soit moins de 0,1 K).

 

Figure 15.5. Schéma de construction d’un « réfrigérateur » à démagnétisation adiabatique.

 

Ces recherches ont été suivies de celles de la recherche de la supraconductivité non abordée ici (voir Chapitre VI.5.d)

 

4. Conclusion

 

La détermination expérimentale du zéro absolu a d’abord été une fin de recherche en soi. La liquéfaction des gaz, puis leur solidification a constitué une seconde étape. Les propriétés inattendues de l’hélium ont pris le relais.

Des températures inférieures à 0,1 K sont accessibles.

 

 

 

Dernière mise à jour : 2021-07-10.

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