CHAPITRE 5

LA PHOTOCHIMIE

Préambule/Objectifs

On a déjà mentionné le rôle déterminant de l’énergie d’activation dans le déroulement d’une réaction, et en particulier de l’énergie résultant d’une collision physique.

  • Qu’en est-il lorsque cette énergie est apportée par la lumière, plus précisément par une source photonique?
  • Puisque la lumière peut-être suffisamment riche pour exciter les niveaux électroniques d’une molécule, comment les niveaux électroniques de la molécule interviennent dans la réaction?

 

Objectifs spécifiques

-  Comprendre les divers phénomènes propres à la photochimie : absorption de la lumière, photochimie infrarouge et ultraviolette, photosensibilisation, fluorescence,...

-  Appliquer les différentes approches et lois déjà vues et assimilées au domaine de la photochimie.

-  Assimiler les lois propres à la photochimie.

-  Comprendre et être capable d'appliquer le mécanisme de STERN-VOLMER dans les réactions monomoléculaires de molécules excitées.

-  Comprendre les mécanismes d'intervention, de participation d'états électroniques excités dans certaines réactions.

 


1. Introduction

Le chapitre 2 a traité de l’activation thermique des réactions chimiques. Dans un réacteur fermé, des molécules sont chauffées. Par collision sur les parois, les molécules peuvent emmagasiner de l’énergie sous forme d’énergie de translation, de rotation, de vibration. En phase gazeuse, ces molécules "chaudes" entrent en collision avec leurs semblables et échangent entre elles de l’énergie. On connaît ainsi des échanges d’énergie d’un niveau de vibration vers un autre niveau de vibration, V-V, de rotation vers un autre niveau de rotation, R-R, ... Il en résulte une distribution de molécules en fonction de la quantité d’énergie. Cette distribution dépend de la température : Fig. 5.1.

 

Figure 5.1. Comparaison des chauffages thermique et multiphotonique infrarouge.

L’activation photochimique est tout à fait différente. Dans ce cas, un photon traverse un réacteur, heurte une molécule. Afin de respecter les règles élémentaires de conservation d’énergie et de quantité de mouvement, le photon n’ayant pas de masse, il est complètement annihilé s’il est absorbé par la molécule. La molécule acquiert de ce fait une énergie égale à l’énergie du photon, hn, énergie qui s’ajoute à son énergie thermique. Cette absorption n’est possible que si l’énergie du photon est rigoureusement égale à la différence d’énergie entre deux niveaux quantifiés d’énergie de la molécule. Compte tenu de l’énergie du photon, on distingue la photochimie infrarouge et la photochimie ultraviolette.


2. La photochimie infrarouge

Lorsque l’énergie du photon est située dans la région de l’infrarouge lointain ou proche, cette énergie correspond à ce qui est nécessaire pour augmenter l’énergie de rotation ou de vibration. La molécule "saute" dans les niveaux de rotation ou dans les niveaux de vibration supérieurs. En général la molécule excitée, normalement après un temps déterminé par la vitesse des collisions, va échanger son énergie ainsi acquise. On obtiendra de ce fait une distribution d’énergie similaire à celle obtenue par chauffage.

 

Il existe cependant un cas intéressant. En effet, on sait construire des lampes infrarouges, plus exactement des lasers infrarouges, de très haute intensité. Il en résulte que la molécule, qui vient d’absorber un photon infrarouge, a la possibilité d’en absorber plusieurs autres avant d’entrer en collision avec l’une de ses sœurs. Il y a absorption de plusieurs photons par une seule molécule : c’est ce que l’on appelle la photochimie multiphotonique, quelquefois aussi la photochimie multiphotonique infrarouge.

    5.1                  M      +     n hn   ®   Mvibr

Si la densité photonique est suffisante et si l’énergie du photon est suffisante, la molécule absorbe suffisamment d’énergie pour atteindre et dépasser la valeur du seuil réactionnel : figure 5.1. Il faut noter que le plus souvent, les processus observés ont été interprétés en mettant en cause des molécules vibrationnellement chaudes et rarement, bien que ce ne soit pas impossible, à travers des états électroniques excités.

    5.2              Mvibr    ®   M*    ®    produits


3. La photochimie ultraviolette

La longueur d’onde associée au rayonnement ultraviolet contient une énergie qui permet aux molécules d’accumuler de l’énergie sous forme électronique. Un électron passe d’une orbitale occupée la plus externe (HOMO : pour Higher Occupied Molecular Orbital) vers une orbitale la plus basse inoccupée (LUMO : pour Lower Unoccupied Molecular Orbital). Cette molécule électroniquement excitée doit dissiper cette énergie. Et la molécule a à sa disposition de nombreux moyens pour cela. Notons que les sources lumineuses disponibles dans l’ultraviolet sont d’intensité relativement faible de telle sorte que l’absorption multiphotonique ultraviolette n’a pas encore été réalisée sauf dans quelques très rares laboratoires. On peut donc retenir qu’une molécule n’absorbe qu’un seul photon: un photon = une molécule photoexcitée. C’est la loi d’EINSTEIN.

Nous avons déjà mentionné que dans la collision photon-molécule, le photon est complètement absorbé par la molécule. L’énergie acquise est ainsi égale à l’énergie du photon. C’est la loi de GROTHUS-DRAPER.

Ces deux lois sont à la base de la définition du rendement quantique, F. Puisqu’à un photon on peut associer une molécule photoexcitée, on a pris l’habitude de compter d’une part le nombre de photons absorbés et de l’autre côté le nombre de molécules disparues ou formées. De telle sorte que :

fig_1.gif (1632 octets)

Si l’on compte plutôt le rendement d’une réaction (le nombre de fois que se produit la réaction par photon absorbé), le symbole utilisé est f.

Tableau 5.1. Exemples de rendements quantiques de photo réactions

Réactifs

l (nm) Produits F 
  C2H4 184,9 C2H2 0,85
  iso-C4H8 1,47,0 C3H4 0,85
 1-C4H8 105 e- 0,27
HBr 207 H2 2,O
H2  +  Cl2 400 HCl 105
CH3CH2CH2Cl 200 CH3CHClCH3 103

Cundal, R. B. et A. Gilbert, Photochemistry, Th. Nelson  & Sons ltd, 1970.

Les deux derniers exemples sont intéressants car la valeur du rendement quantique indique clairement que la formation du HCl et l’isomérisation du 1-chloropropane se font à travers un mécanisme en chaîne puisque pour un photon absorbé, pour une molécule photoexcitée, il y a plus de 1 000 molécules nouvelles de formées.


4. Physicochimie d’une molécule électroniquement excitée

Lorsque la molécule a absorbé un photon UV et se trouve dans état électronique excité, il existe plusieurs types de comportement qui dépendent de l’énergie de la molécule et de la position relative des courbes de potentiel disponibles.


Figure 5.2. Courbes de potentiel du niveau fondamental S
et d’un niveau excité
P.

1- Soit par exemple le cas que l’on peut représenter selon la figure 5.2. La molécule a deux états électroniques S et P. L’état S est l’état fondamental et P un état excité. À la température normale, la majorité, sinon la totalité des molécules sont dans le premier état de vibration, u = 0, de l’état fondamental (voir un cours de chimie théorique). Soit Emin la différence d’énergie entre les deux premiers niveaux de vibration situés respectivement sur les courbes de potentiel S et P. Soit également E+ la différence d’énergie entre le premier niveau de vibration de la courbe S et le niveau correspondant à la dissociation de l’état P.

 

1-A Si l’énergie de la lumière incidente hn est comprise entre Emin et E+, il y a possibilité d’absorption de la lumière avec formation d’une molécule électroniquement excitée.  

X¾Y  + hn   ®    X¾Y*

Que devient cette nouvelle molécule électroniquement excitée? Elle a, à sa disposition, plusieurs disponibilités pour évacuer cette énergie.

Elle peut réémettre ce photon : c’est alors le phénomène de fluorescence. En général, le temps de vie ou la durée de vie de l’état électronique excité est très court de telle sorte que la fluorescence a lieu quelques nanosecondes après sa formation : Tableau 5.2.

X¾Y*   ®   X¾Y  +  hn   (fluorescence)

 

Tableau 5.2. Temps de vie d’états excités singulets mesurés par rapport à la fluorescence

Composé

Solvant Temps de vie (nanoseconde) F (fluorescence)
  benzène hexane 26 0,070
  toluène hexane 26 0,12
  p-xylène hexane 28 0,42
naphthalène hexane 106 0,38
anthracène benzène 4 0,24
phénanthrène alcool 19 0,10
Cundal, R. B. et A. Gilbert, Photochemistry, Th. Nelson  & Sons ltd, 1970

X¾Y*   ®    X-Yvibr     ®    X• + Y•

1-B Si au contraire, l’énergie est supérieure à E+, la molécule électroniquement excitée a suffisamment d’énergie pour se dissocier en deux parties dont au moins l’une est formée dans un état électronique excité.

X¾Y** ® X + Y* (dissociation)


Figure 5.3. Courbes de potentiel S et P traversées par un état répulsif.

2- Soit le cas de la figure 5.3. Dans ce cas l’état électronique excité est traversé par un autre état électronique répulsif en un point Z. En plus des valeurs indiquées dans le cas précédent, soit Ez l’énergie à laquelle a lieu le croisement des deux courbes de potentiel. Les molécules sont initialement dans le premier niveau de vibration. On dit aussi que seul le premier niveau de vibration est peuplé. Si l’énergie du photon est inférieure à Ez, le comportement de la molécule photoexcitée est similaire à ce qui a été décrit dans le cas précédent. Si l’énergie du photon est comprise entre cette valeur Ez et E+, la molécule en plus des possibilités décrites précédemment peut passer de la courbe de potentiel de l’état excité tout d’abord atteint vers l’état répulsif en passant par le point de croisement Z. Une fois sur cette courbe de potentiel, la molécule va se dissocier en donnant les fragments X et Y. On dit qu’il y a prédissociation. C’est un cas fréquent. C’est l’exemple de l’acétone :

CH3COCH3 + hn   ®   (CH3COCH3)*     ®   CH3  +  COCH3 , ...

L’importance relative des processus dépend de plusieurs facteurs qu’il n’est pas pertinent de détailler ici. Notons cependant que dans les deux cas jusqu’ici envisagés, la molécule garde la même parité électronique. Comme en général, la molécule, dans son état fondamental, est dans un état singulet (tous les spins électroniques sont appariés par spin antiparallèle), toutes les courbes de potentiel sont de type singulet.


Figure 5.4. Diagramme de JABLONSKI.

3- Un troisième cas fait intervenir un état triplet. La règle de conservation de spin indique que la molécule ne peut théoriquement changer de parité. Cependant, sous l’effet de causes particulières, une transition normalement interdite peut devenir importante et le passage d’un état électronique singulet vers un état électronique triplet a été observé.

La figure 5.4 montre le diagramme de JABLONSKI relatif à une telle transition. La molécule à travers l’absorption d’un photon se retrouve dans un état électronique excité singulet A*, B* ou C*,... (sur la figure 5.4, * prend les valeurs 1P, 1X...).  Par conversion interne, la molécule la plus énergétique peut redescendre vers les états électroniques inférieurs : de C* elle passe vers B*, qui à son tour passe vers A*. Supposons que, pour des raisons actuellement inconnues, la fluorescence de cet état soit excessivement lente, ou que toute autre réaction qui ramènerait la molécule vers l’état fondamental soit très lente ou même impossible. Il y aura accumulation de molécules A* dans le réacteur.

Tableau 5.3. Temps de vie d’états excités triplets
mesurés par rapport à la phosphorescence

Composé Temps de vie (s) Composé Temps de vie (s)
Benzaldéhyde 0,0029 acétophénone 0,0036
Phénylamine 1,2 quinoline 13
Phénanthrène 22 naphthalène 63
Calvert, J. G. et J. N. Pitts, Jr., Photochemistry, J. Wiley & Sons, inc.,1967

 

Excluons les collisions, c’est-à-dire que le réacteur est à basse pression. Supposons enfin qu’il existe un état électronique intermédiaire triplet T. La molécule, bien que la transition A* ® T soit interdite, peut trouver un moyen de contourner la règle de sélection et réaliser ce que l’on appelle une inter conversion. À nouveau la transition T ® S est interdite de telle sorte que le temps de vie de l’état triplet devient très long. Par exemple il peut être d’une milliseconde, voire plus long. La molécule peut à nouveau trouver le moyen de contourner la règle de sélection et perdre son excès d’énergie par émission de lumière. Dans ce cas on a une phosphorescence qui peut survenir après un temps supérieur à 1 ms : tableau 5.3.


5. La photosensibilisation

Nous avons déjà indiqué que l’absorption d’un photon obéit à des règles de sélection très strictes. Il n’y a pas, sauf cas exceptionnel, de changement de parité de spin électronique pendant la promotion d’un électron d’une orbitale interne vers une autre plus externe. Il ne peut donc pas se former d’état excité triplet par absorption directe d’un photon par une molécule située dans un état singulet :

M (1S) + hn   ¹    M (3X)

 

On utilise un moyen indirect pour peupler l’état triplet. Un système bien connu est celui de la photosensibilisation. L’exemple est celui de la photosensibilisation par le mercure. Le mercure est un atome bien connu pour violer la règle de sélection de non-changement de spin. Compte tenu du champ nucléaire très intense, la formation de l’état triplet du mercure est extrêmement facile. Au produit irradié, un alcène par exemple, on ajoute des traces de mercure: la vapeur de mercure disponible à la température ordinaire suffit. La lampe utilisée est au mercure basse pression de telle sorte que la lumière émise à 253,7 nm est directement utilisée pour générer des atomes de mercure excités dans un état triplet. Dans le réacteur, les collisions physiques permettront de transformer les molécules d’alcènes de leur état fondamental singulet vers l’état triplet en respectant la règle de conservation des spins électroniques.

alcène (1S)  +  Hg*(3P1)    ®  alcène (3T)  +  Hg(1S0).

On obtient ainsi un système réactionnel qui permet l’étude de la chimie d’états électroniques triplets. D’autres exemples sont bien connus :

formation d’une molécule excitée :  M (1S)  +  hn     ®    M* (1X)
réaction suivie de :                          M*(1X)   +  O2(3
S®  M(3T)  +  O2 (1D)
ou aussi :                                       3C6H6   +  cis-2-C4H8  
®   C6H6  +  3cis-2-C4H8
Cette réaction est suivie de :           3cis-2-C4H8   
®     cis-2-C4H8   ou   trans-2-C4H8

Cette technique de sensibilisation n’est pas exclusivement réservée à l’état triplet. On peut aussi atteindre des états singulets qui ne pourraient pas être produits (par exemple; absence d’absorption correspondante). Un système bien connu est celui de la photo décomposition de l’acide oxalique sensibilisée par les ions uranyles UO2++ :

[1]   UO2++   +  hn (250-450 nm)    ®    (UO2++)*
[2]   (UO2++)*  +  (COOH)2
    ®    UO2++  +   (COOH)2*
[3]   (COOH)2*
    ®    CO2  +  CO  +  H2O

Le rendement des réactions [2] + [3] est voisin de 0,55 entre 470 et 210 nm.

Tableau 5.4. Rendement des réactions de photolyse de l’acide oxalique sensibilisé

l (nm)

435 405 366 335 313 302 278 265 254
F 0,58 0,56 0,49 0,53 0,56 0,57 0,58 0,58 0,60

 


6. Exemples de réactions photoactivées

1- Soit la chloruration du chloroforme à 65 °C, dans le proche ultraviolet (@ 254 nm)

   Cl2   +  CHCl3   ®     CCl4  +  HCl

Expérimentalement, on trouve que      F(CCl4) @ 1 000  et

d[CCl4] / dt   =  k [Cl2]1/2 Ia1/2

Dans cette équation,  Ia est l’intensité lumineuse de la lampe exprimée en nombre de photons absorbés par seconde.

Le mécanisme proposé est le suivant :

[1] Cl2  +  hn        ®    2 Cl;  f Ia amorçage
[2] Cl  +   CHCl3        ®    CCl3  +  HCl propagation
[3] CCl3  +  Cl2        ®    CCl4  +  Cl propagation
[4] 2 CCl3  +  Cl2     ®    2 CCl4  rupture de chaîne

 

 

Figure 5.5. Schéma réactionnel de la chloruration photochimique du chloroforme.

Appliquons le principe de quasi-stationnarité aux porteurs de chaîne •Cl et •CCl3 :

2 f Ia  =  2 v4

Cette relation peut être écrite de manière plus explicite :

2 f Ia  =  2 k4 [CCl3]2 [Cl2]

La vitesse de formation du tétrachlorure de carbone est telle que :

VCCl4   =  v3+  2 v4  =  k3 [•CCl3] [Cl2]  +  2 k4 [•CCl3]2 [Cl2]  






et en divisant par Ia :

Puisque f est au plus égal à l’unité, et que F(CCl4) est de l’ordre de 103, il vient que le dernier terme de l’équation précédente peut être ignoré :

(f Ia)1/2  [Cl2]1/2          C.Q.F.D.


Le mécanisme proposé montre clairement que la vitesse du processus de formation des produits est gouvernée par l'intensité de la lampe, ce que traduit bien l'expression mathématique de la vitesse de formation du CCl4.



2. Soit la photoisomérisation du cis-2-butène catalysée par l’hydrogène sulfuré à 147 nm et à 25 °C. Le mécanisme proposé est le suivant
[Collin, G. et P. Perrin, Can. J. Chem., 50, 2 400-06 (1972)] :

[1] cis-2-C4H8  +  hn   ®    H•  +  R•  +  molécule  amorçage
[2] H•  +  cis-C4H8   ®    s-C4H9•  (R)  amorçage
[3] R•  +  HS•    ®    RH  +  HS·  amorçage
[4] HS•  +  cis-2-C4H8     cis-C4H8-SH  propagation
[5] cis-C4H8-SH     trans-C4H8-SH  propagation
[6] trans-C4H8-SH     HS•  +  trans-2-C4H8  propagation
[7] HS•  +  1,3-butadiène   ®    non porteur de chaîne  rupture

 

Le butadiène est un produit de photolyse: F @ 0,2. On a pu montrer que le rendement quantique du trans-2-C4H8 en début de photoirradiation est voisin de 6 500.


7. Le mécanisme de STERN-VOLMER

Le mécanisme de STERN-VOLMER fait référence à la stabilisation par collision (réaction de quenching) d’un intermédiaire excité synthétisé dans un système photochimique. Soit la formation de l’allène dans la photolyse du 2-méthyl-1-butène dans la région de l’ultraviolet sous vide [Collin, G. J. et H. Deslauriers, Int. J. Chem. Kinet., 12, 17-28 (1980)] :

[1]      CH2=C(CH3)CH2CH3 + hn   ®   ·CH3 + CH2=C(CH3)CH2*,
                                                            Ia f1,   DH  =  301 kJ·mol-1

[2]      CH2=C(CH3)CH2* + M ® + M,    ks

[3]              CH2=C(CH3)CH2*   ®  •CH3 + CH2=C=CH2,    kd

La molécule se rompt via la rupture de la liaison la plus fragile, soit la liaison C¾ C située en position b par rapport à la double liaison.  Le principe de stationnarité appliqué au radical b-méthallyle excité, b M*, conduit à :

d[b M*]/dt  =   0  =   Ia f1  -  ks [M] [b M*]  -  kd [b M*]

Figure 5.6. Graphe de STERN-VOLMER.

Dans la relation précédente, [b M*] représente la concentration du radical b-méthallyle excité. De cette relation, on peut extraire la valeur de [b M*] :

En traçant le graphe 1/F(allène) = ƒ([M]), on obtient une droite dont l’ordonnée à l’origine est 1/f 1 et la pente est :

ks /(kd f1)

D’une autre façon, 

L’interception de la droite avec l’axe de la pression est telle que :

- [M]  =  kd / ks      (Fig. 5.6)

On peut donc déterminer le rapport kd/ks en unités de pression. Dans le cas de la photolyse du 2-méthyl-1-butène, à diverses longueurs d’onde, on trouve les résultats apparaissant dans le tableau suivant.

Tableau 5.5. Photolyse du 2-méthyl-1-butène
Stabilisation du radical excité b-méthallyle

Énergie du photon incident

kd/ks (Torr)
l (nm) (eV)
184,9 6,7 11
174 7,1 7
163,3 7,6 7
147 8,4 34,5

 


8. Calcul de la constante de dissociation kd

L’effet de pression tout juste décrit permet à travers la formule de STERN-VOLMER de déterminer le rapport kd/ks. La constante ks est la constante de vitesse de collision physique. En effet, à chaque collision on peut raisonnablement croire que la molécule (ou le radical) énergétique va transférer une partie de son excès d’énergie vers la molécule la plus froide et être ainsi stabilisée. La valeur de ks peut être estimée à travers la cinétique des collisions (voir Chapitre 2) de telle sorte que le nombre de collisions subies par une molécule par seconde est tel que :

   


     µ  est la masse réduite des partenaires impliqués dans la collision,
     R  =  8,314 107 erg·mol-1·K-1  =  8,314  J·mol-1·K-1 
     T  =  298 K          si le réacteur est à la température normale, et
     rA-B = 0,5 (rA + rB); rA et rB sont les diamètres moléculaires des partenaires.

 

Exemple : Les radicaux allyles excités (CH2=CH=CH2*) produits dans la photolyse du 1-pentène se décomposent à basse pression en allène [Collin, G. J. et H. Deslauriers, Nouv. J. Chimie, 3, 701-704 (1979)] :

CH2-CH-CH2*   ®  CH2=C=CH2 + •H 

avec une constante de vitesse kd  et une variation d’enthalpie DH = 238 kJ·mol-

CH2-CH-CH2* + M ®    

+   M

À cette réaction de fragmentation, il correspond une constante de vitesse ks. La suite de tirets sur le groupe CH2-CH-CH2 représente la résonance allylique.

On sait en outre que le rayon du radical allyle, r(allyle) = 0,47 nm et celui de la molécule 1-pentène, r(1-pentène) = 0,70 nm [Georgakakos, J. H. et al., J. Chem. Phys., 52, 2143 (1970)].

Note : Lorsque l’on ne connaît pas le diamètre moléculaire d’une molécule, on peut à l’occasion le calculer si l’on a accès au covolume de la molécule tel qu’il apparaît dans l’équation d’état de VAN DER WAALS. Le coefficient "b" de cette équation mesure le volume physique d’une mole de gaz.  On trouvera ces valeurs de "b" dans des volumes spécialisés où, pour quelques molécules, dans un Handbook de chimie sans oublier le web.

Donc,        rA-B  =  (0,47 + 0,70)/2  =  0,585 nm  = 5,85 10-8 cm

Z  =  153 485,16 rA-B2 [M]  =  153 485,16 ´ (5,85)2 10-16 ´ [M]

Z  =  5,253 10-10  [M]  cm3·molécule-1·s-1

Sous une pression de 1 mmHg (1 Torr), le nombre de molécules par cm3 peut être estimé :

=  3,5362 1016 molécules·cm-3

                        

La fréquence de collision sous une pression d’un Torr (mmHg) est donc : Z = 1,86 107 s-1

ou encore le temps disponible entre deux collisions est de t = w = Z-1 = 0,538 10-7 secondes = 53,8 nanosecondes. Si la réaction de stabilisation est efficace à 100 %, c’est-à-dire si une collision suffit à stabiliser l’intermédiaire excité, ks est simplement égal à w-1. Le rapport kd/ks, dans cet exemple, est voisin de 50 Torr, il en résulte que kd @ 50 ks = 9,3 108 s-1 et le temps de vie du radical allyle produit dans la photolyse du 1-pentène à 147,0 nm est de 1,07 nanosecondes.

Dans le cas tout juste mentionné, l’effet de pression est observé sur un produit de photolyse : la molécule 1-pentène photoexcitée a un temps de vie trop court pour être stabilisée à une pression de 100 Torr. Dans le cas de molécules plus grosses, donc ayant un tissu vibrationnel plus imposant, le temps requis pour atteindre la bonne configuration géométrique, ou le temps requis pour que la bonne quantité d’énergie se trouve dans la bonne liaison, est plus long. Il en résulte une plus grande facilité pour stabiliser la molécule photoexcitée elle-même.

(CH3)3CCH=CH2   hn   ®   (CH3)3CCH=CH2él   
(CH3)3CCH=CH2él  ®   (CH3)3CCH=CH2vibr
(CH3)3CCH=CH2vibr ®   ·CH3  + 
(CH3)3CCH=CH2vibr  +  M ®   (CH3)3CCH=CH2  +  M

Ici les exposants él et vibr indiquent que l’énergie est électronique ou vibrationnelle et M est une molécule qui peut être le monomère. On peut mesurer le rendement quantique du radical méthyle en fonction de la pression. S’il y a stabilisation de la molécule photoexcitée, on peut, à travers la formulation de STERN-VOLMER, mesurer le temps de vie, t, de la molécule dans son état fondamental vibrationnellement excité de la même manière que ce qui a été fait précédemment pour le radical intermédiaire allyle excité.

Tableau 5.6. Temps de vie des alcènes photoexcités

Alcène l (nm) t (ns) réf.
1-hexène 184,9 2 a
1-hexène 193,2 2 b
cis-3-hexène 184,9 2 a
4-méthyl-2-pentène 184,9 3 a
3,3-diméthyl-1-butène 184,9 0,35 a
1-heptène 193,2 33 b
2,3-diméthyl-2-pentène 193,2 37 c
a : Collin, G. J., Adv. Photochem., 14, 135-176 (1988).
b : Shimo, N. et al., J. Photochem., 32, 279 (1986).
c : Nakashima, N. et al., J. Chem. Phys., 81, 3738 (1984).

 


9. Isomérisation de molécules photoexcitées

Le mécanisme de STERN-VOLMER s’applique tout aussi bien à certaines réactions d’isomérisation de molécules très énergétiques. Divers mécanismes sont possibles. Soit par exemple, la photoisomérisation du cyclopentène, cyclo-C5H8, en méthylènecyclobutane à 184,9 nm. Le mécanisme proposé est le suivant  (M = propane) :

cyclo-C5H8  +  hn      ® cyclo-C5H8*,  f
cyclo-C5H8*      ® cyclo-C4H6=CH2*
cyclo-C4H6=CH2*  +  M      ® cyclo-C4H6=CH2  +  M
cyclo-C4H6=CH2*      ® CH2=CH2   +   CH2=C=CH2

 

Le principe de quasi-stationnarité appliqué au méthylènecyclobutane excité, cyclo-C4H6=CH2*, conduit à la relation :

[F(cyclo-C4H6=CH2)]-1   =  kd/ks[M]-1 f -1   +  f-1

alors que, appliqué à l’éthylène, celle-ci devient (Fo(C2H4)  (c'est le rendement en éthylène à pression nulle) :

[F(C2H4)]-1   =  [F0(C2H4)]-1 ( 1   +  ks[M]/ kd)

Dans le premier cas, la valeur mesurée, entre 0,25 et 6 atmosphères de propane, du rapport kd/ks est de 11,6 atm (± 10 %). Le même rapport est de 12,5 atm. (± 10 %) lorsqu’il est appliqué à l’éthylène. La concordance entre les deux valeurs ainsi obtenues est une indication de la validité du mécanisme proposé.


10. La courbure à la droite de STERN-VOLMER

Le mécanisme de LINDEMANN (voir Chapitre 2.6a) prévoit qu’une molécule (un radical) excitée est stabilisée dans une collision. Toute l’énergie supérieure à celle requise pour passer par dessus la barrière de potentiel serait ôtée en une collision. On a pu montrer que tel n’est pas le cas. La quantité d’énergie, <DE>, transférée en une collision est plutôt comprise entre 0 et 30 kJ·mol-1. Il faut donc envisager, non pas une réaction de stabilisation, mais plusieurs réactions en série : la molécule excitée se refroidit progressivement en passant par des niveaux de moins en moins énergétiques. La formulation de STERN-VOLMER doit être modifiée pour tenir compte de cette cascade de réactions de stabilisation. La linéarité de la droite fait place à une courbure que l’on peut observer généralement si l’échelle de pression observée est suffisamment vaste. En effet, la molécule qui perd 20 kJ·mol-1 en une collision a une constante de vitesse réactionnelle d’au moins un ordre de grandeur plus faible. Il en résulte que sur une échelle de pression relativement restreinte, le système se comporte comme si une seule collision était suffisante.

Tableau 5.7. Énergie échangée par collision
dans la photoisomérisation du cycloheptatriène (CHT)*

Désactivant He CO SF6 Toluène CHT
<DE> (kJ/mole) 0,67 3,34 5,0 7,9 27,6
*[Robinson, P. J. et K. A. Holbrook, Unimolecular Reactions, Wiley-Science, p. 318 (1972)].


Enfin, l’efficacité du transfert d’énergie croît avec la grosseur de la molécule désactivante : elle n’est donc pas nécessairement égale à l’unité. En général, on admet que l’efficacité tend vers l’unité lorsque la molécule a plus de 10 atomes de carbone dans le cas des composés hydrocarbonés.

Tableau 5.8. Efficacité relative de la stabilisation dans la
photoisomérisation du tétraméthyléthylène (TME) à 184,9 nm

     Désactivant :
isomère

He Xe Ar N2 CH4 SF6 C4H10 TME
3,3-diméthyl-1-
butène
0,088 0,15 0,096 0,24 0,57 0,75 1,68 1,00
1,1,2-trimethyl-
cyclopropane
0,089 0,04 0,125 0,17 0,27 0,44 0,90 1,00

Collin, G. J. et H. Deslauriers, Can. J. Chem., 61, 1510-15 (1983).



 

11. Techniques expérimentales

On a déjà vu au chapitre 1 le principe expérimental du flux continu. Dans le cas de réactions rapides, la mesure du temps de réaction devant être très rapide - les réactions s’effectuant en des temps inférieurs à la seconde - on substitue cette mesure du temps par une mesure de distance. La réaction des radicaux hydroxyles avec un hydrocarbure comme le cyclohexane peut servir d’exemple. La première exigence réside dans la production de ces radicaux •OH. Ceux-ci sont formés aisément à travers la réaction d’attaque de l’oxyde nitrique NO2 par des atomes d’hydrogène (Fig.5.7, point B). Ces derniers sont, à leur tour, produits dans un tube à décharge entretenu par une cavité micro-onde (Fig. 5.7, point A). Le tube est parcouru par un mélange d’hélium contenant environ 1 % d’hydrogène moléculaire.

 

Figure 5.7. Exemple de dispositif expérimental en flux continu.

Globalement le mécanisme réactionnel est le suivant :

[1] H2  +  He      2 H•  +  He  
[2] H•  +  NO2     ®   •OH  +  NO• réaction rapide
[3] •OH  +  cyclo-C6H12     ® H2O  +  •c-C6H11  

 

Le mélange ainsi constitué : hélium, hydrogène moléculaire non décomposé dans la décharge, oxyde nitrique et oxyde nitreux est introduit dans le tube réactionnel. Celui-ci est muni d’un injecteur mobile qui permet d’introduire le cyclohexane en un point C déterminé. La réaction [3] commence en ce point C. À une distance x de ce point C, point D, on installe un système de détection des radicaux •OH. On verra un peu plus loin que la technique de fluorescence induite par laser est très appropriée pour cette mesure. On peut donc mesurer en ce point D la concentration relative des radicaux •OH qui n’ont pas encore réagi avec l’hydrocarbure. Connaissant la vitesse v du mélange gazeux dans le tube réactionnel, ainsi que la distance x, on connaît le temps le temps de réaction :  t = x / v. En opérant dans des conditions où la concentration en atomes d’hydrogène, donc en radicaux •OH, est beaucoup plus petite que la concentration en hydrocarbure, [•OH] << [cyclo-C6H12], la réaction sera de pseudo ordre 1 par rapport aux radicaux hydroxyles •OH.

Pour intéressant qu’il soit ce dispositif expérimental a ses limites. Tout d’abord, le traitement cinétique suppose que le mélange réactionnel, au point C, soit homogène. L’homogénéité du mélange gazeux est soumise au mouvement brownien. Dans les systèmes utilisés et aux pressions impliquées, le temps requis pour obtenir cette homogénéité est de l’ordre de la milliseconde. Les réactions ne doivent donc pas être trop rapides, c’est à dire s’effectuer en des temps inférieurs à 0,001 s. Une deuxième condition demande une vitesse uniforme du flux gazeux dans le tube réactionnel. En pratique, cette condition est maintenue pourvu que le système gazeux demeure à une pression inférieure à 1 000 Pa. Enfin, les parois du réacteur ne doivent pas intervenir dans la réaction. Pour vérifier ou prévenir ces phénomènes secondaires indésirables, on peut soit augmenter le diamètre du tube, soit déposer sur les parois une matière plus inerte comme du téflon.

 

C’est une technique de mesure très appropriée pour les atomes comme ceux de l’hydrogène, de l’azote, de l’oxygène, des halogènes, du mercure, des alcalins, des gaz rares,... Le principe est fort simple. Dans un premier temps on produit, dans une cavité micro-onde, la décharge dans un mélange d’hélium et du gaz moléculaire approprié (voir exemple précédent). La molécule X2 est décomposée et les atomes résultant, X•, sont portés dans le premier état électronique excité (voir un cours de chimie théorique). L’atome excité, X*, retourne à son état fondamental en émettant la fréquence caractéristique de l’atome considéré. Cette émission de lumière est utilisée pour mesurer dans un réacteur la concentration du même atome. En effet, la longueur d’onde de la lumière est justement celle nécessaire pour porter l’atome dans son état électronique excité. Il y a effectivement résonance entre la fréquence de la lumière incidente et celle de la transition électronique. Le faisceau de lumière est donc atténué en passant dans le milieu réactionnel et cette atténuation est étroitement liée à la concentration des atomes présents :

 

Figure 5.8. Schéma du dispositif expérimental de résonance de fluorescence.

 


Les réactions dans la zone de décharge micro-onde sont les suivantes :

1/2 H2

H

   H*   ®  H  +  hn

et celles dans la zone réactionnelle sont :

H  +  hn  ®  H*  ®  H  +  hn   (fluorescence)

 

Note : si le flux gazeux va de gauche à droite dans la lampe à décharge, le flux photonique d’intérêt va de droite à gauche, c’est-à-dire vers le milieu réactionnel.

 

Tableau 5.9. Principales lampes de résonance

élément résonant H• N• O• Br• Cl•
longueur d’onde  (nm) 121,6 149-150 130,2-130,6 163,4 134-140

 

Le principe est similaire à celui de la résonance de fluorescence (en anglais : laser induced fluorescence, ou LIF). Elle s’applique tout particulièrement aux radicaux libres. L’excitation du radical fait en sorte que celui-ci est porté du niveau de vibration u = 0 de l’état électronique fondamental vers le niveau de vibration u' = 1 de l’état électronique supérieur. Le radical ainsi excité descend d’abord vers son niveau u' = 0 de l’état électronique excité et de là il fluoresce vers le niveau de vibration u = 1 de l’état fondamental. La fluorescence apparaît normalement à une longueur d’onde plus longue que celle de la lumière qui a excité le radical initial. L’intensité de la fluorescence est proportionnelle à la concentration des radicaux émetteurs. La grande sensibilité de la méthode est due à la disponibilité de sources excitatrices de lumière (lasers) de grande intensité. Cette grande intensité peut-être une source de confusion si l’on ne prend garde d’éliminer toute interférence de cette source avec le photomultiplicateur chargé de mesurer la fluorescence. La technique est évidemment plus complexe et donc plus coûteuse que dans le cas de la résonance de fluorescence.

Tableau 5.10. Exemples de longueurs d’onde (nm) d’excitation et de fluorescence de radicaux

élément résonant •OH •CN •CH •CH3O •NH •SO
l excitation
l fluorescence
282
308
388
422
431
431
303,9
303,9
336
336
266,5
283,4

 

Le principe, similaire à celui de la résonance de fluorescence (en anglais : laser magnetic resonance, LMR), est appliqué à la mesure des radicaux dans des systèmes à flux continu. Le laser à CO2 est utilisé comme source excitatrice de radicaux. Celui-ci émet une série de raies vibration-rotation qui sont rarement en résonance avec les transitions permises du radical. Les radicaux en général ont un moment magnétique non nul. En présence de champ magnétique on peut ajuster une transition à une raie excitatrice du laser (voir Effet ZEEMAN, cours "Introduction à la physique atomique et moléculaire", Chapitre 9.6). On peut alors mesurer l’atténuation de la raie excitatrice du faisceau laser. La loi de LAMBERT-BEER (voir le cours "Introduction à la physique atomique et moléculaire", Chapitre 12.5) permet de relier aisément concentration du radical et intensité :

Iabs/Io = e-ecd         

Io est l’intensité initial du faisceau excitateur avant introduction de radicaux,
Iabs est la diminution de l’intensité du faisceau (Iabs = I0
- Imesuré),
e est le coefficient d’absorption du radical,
c est sa concentration, et
d est la longueur du chemin optique où il y a absorption.

 

 

On a vu que dans le cas de système à flux continu, une limitation du système provient du temps de mélange initial. On ne peut donc étudier que des réactions qui ont des temps réactionnels supérieurs à 10-100 millisecondes. Une variante expérimentale introduite par MM. PORTER et NORRISH à Cambridge, vers la fin des années 1940, consiste à utiliser des flashs. Le mélange est réalisé dans un tube en régime de flux continu. En un point où le mélange est homogène, quelques cm en aval du point de mélange, on installe la lampe éclair. Cette fois le temps limite est celui de la durée de l’éclair. Ces lampes ultra-rapides n’existaient pas au temps de PORTER. On dispose maintenant de lasers qui ont des éclairs qui durent entre 10 et 20 nanosecondes (lasers à excimère) alors que des lampes plus traditionnelles ont des temps de flash de l’ordre de la microseconde. Plus récemment, des lasers à impulsion de durée de l’ordre de 10-13 seconde ont vu le jour. L’appareillage électronique permet déjà de suivre l’évolution chimique des réactifs en des temps inférieurs à la picoseconde.

Tableau 5.11. Exemples de longueurs d’onde de lasers à excimère

Élément émettant ArF* KrCl* KrF* XeCl* XeF*
l excitation (nm) 193 222 248 308 351
Énergie du photon :          
kJ/mole 621 540 483 389 342
eV 6,44 5,60 5,01 4,04 3,54

 

 

On a jusqu’à maintenant pris pour acquis que les vitesses de réaction chimiques sont limitées par la vitesse avec laquelle les liaisons peuvent se rompre ou se réarranger. Typiquement, la fréquence de scission d’une liaison doit être sinon égale, à tout le moins de l’ordre de grandeur de celle de la vibration d’élongation de cette liaison : 10-13 s. Le temps nécessaire à une réaction serait donc supérieur à 100 femtosecondes (1 femto = 10-15). Qu’en est-il réellement ? Par ailleurs, est-il possible de suivre l’évolution de la liaison mise en cause dans la réaction ? Est-il possible de suivre, de voir les modifications de structures de la molécule, du complexe activé sur son chemin vers la formation des produits de réaction ?

On dispose maintenant de lasers dont l’impulsion est aussi courte que 5 femtosecondes. Après avoir éclairé une molécule réactive avec une telle lampe on peut au moins théoriquement explorer le milieu réactionnel quelques femtosecondes plus tard. Par un judicieux montage expérimental utilisant les propriétés associées aux faisceaux lasers, ZEWAIL et ses collaborateurs ont pu suivre en 1987 la réaction de fragmentation suivante :

ICN    ®       I   +  CN

Ils ont pu observer l’état de transition qui a un temps de vie de 50 fs ! Ce travail et d’autres plus récents ont valu à ce laboratoire le prix Nobel en 1999. Une étude plus spectaculaire a été réalisée sur la fragmentation du 1,2-diiodoéthane.

CH2I-CH2®  C2H4 + 2 I•.

En deutérant convenablement cette molécule, des chercheurs avaient remarqué que la photodécomposition de cette molécule conservait sa géométrie. D’où l’idée que le départ des deux atomes d’iode se faisait simultanément et que le complexe activé mis en cause atteint une géométrie " bloquée " expliquant ainsi la formation privilégiée de cis ou de trans-dideutéroéthylène.

ZEWAIL et ses collaborateurs ont montré que le mécanisme est un peu plus simple et différent de ce qui avait été proposé. Ils ont en effet montré qu’un premier atome d’iode se détache quelque 200 fs après l’irradiation laser et que le second suit 17 fs après. Évidemment, à l’échelle de la seconde, le départ simultané est une bonne approximation. Il faut cependant noter ce décalage dans le temps. Par ailleurs ce cours laps de temps entre les deux événements (17 fs) ne laisse pas le temps au radical intermédiaire CH2-CH2I d’effectuer une rotation interne autour de la liaison C-C permettant ainsi d’expliquer le maintien de la configuration cis ou trans du dideuroéthylène. Il n’y a donc pas de structure intermédiaire bloquée. Seule la dynamique extrêmement rapide des événements explique cette " rétention " de structure.

 

 


Conclusions
  • L’apport d’énergie sous la forme de lumière (photons) fait intervenir les molécules dans leurs états électroniques excités: ils conditionnent le chemin réactionnel. Ceux-là ajoutent leur énergie à l’énergie vibrationnelle disponible.
  • Par ailleurs, comme, en général, à un photon il correspond une molécule excitée, il existe un lien simple entre le nombre de photons (la quantité de lumière) et la quantité de molécules transformées.



Exercices

1.   À l'aide des résultats donnés au tableau, calculer pour chaque longueur d'onde le rendement quantique de la réaction de décomposition photochimique de l'oxalate d'uranyle.

l (nm)

Fraction d'oxalate décomposé

Nombre de molécules décomposées ´ 10-18

Nombre de photons
absorbés
´ 10-18

365,5

0,0592

5,18

10,58

365,5

0,0498

4,32

8,93

435,8

0,0242

2,10

3,64

435,8

0,0208

1,79

3,10

 

2. La décomposition photochimique de l'acide monochloracétique en solution aqueuse peut être écrite ainsi :

CH2ClCOOH  +  H2®  CH2OHCOOH  +  HCl

L'étude de la réaction a été faite par titrage de l'ion chlorure et il a été constaté que même en absence de lumière, il se formait 3,5 ´ 10-10 équivalents d'ions chlorures par minute pour un échantillon de 10 mL de CH2ClCOOH 0,5 M. Les résultats donnés au tableau ont aussi été obtenus pour des échantillons de 10 mL de CH2ClCOOH 0,5 M mais au cours de différentes photolyses faites à une longueur d'onde de 253,7 nm. Calculer le rendement quantique pour chaque expérience et obtenir ensuite le rendement quantique moyen.

Essai

Temps (min)

Énergie absorbée
(J)
´  10-1

Nombre d'ions Cl- produits
(Équivalents)
´ 105

A

837

3,436

2,325

B

2 774

1,190

0,863

C

551

0,2458

0,190

D

1 335

0,6113

0,455

 

3.  Le mécanisme suivant a été proposé pour la réaction photochimique entre l'hydrogène et l'iode à 480 K

I2   +   hn

 

®

 

2  I•

  Ia f1

2  I•   +   I2

 

®

 

2  I2

k2

2  I•   +   H2

 

®

 

I2   +   H2

k3

2  I•   +   H2

 

®

 

2  HI

k4

Ia  est l'intensité de la lampe et  f1 est le rendement quantique de la première réaction.  Trouver l'expression de la vitesse de formation du HI dans le cas où k4 << k3.

 

4- Soit le mécanisme photochimique suivant :

  [1]         A  +  hn  ®    E   +  E ,                      (Ia, f )
  [2]         E  +  B 
®    C   +  F ,                       (k2)
  [3]         F  +  A 
®    C   +  E ,                       (k3)
  [4]         F  +  F  +  M 
®    Y   +  M ,            (k4)

En utilisant le principe de quasi stationnarité, calculez en fonction des paramètres habituels (les constantes de vitesse, l’intensité lumineuse, le rendement quantique de la réaction [1], f

a- la vitesse d’apparition du produit C,
b- le rendement quantique
F(C), et
c- dites comment expérimentalement et graphiquement vous détermineriez
f.

 

5-  Un autre mécanisme photochimique, réaction [1], a lieu concurremment à un processus thermique, réaction [2] :

            [1]        A  +  hn  ®    E   +  E                   (Ia, f )
            [2]        A  +  M 
®    E  +  E +   M          (k2)
            [3]         E  +  B 
®    C   +  F                    (k3)   
            [4]         F  +  A 
®    C   +  E                    (k4)
            [5]         E  +  E  +  M 
®    A   +  M         (k5)

1- En utilisant le principe de l’état stationnaire aux espèces E et F, trouvez l’expression de la concentration de E, [E], en fonction des paramètres habituels;
2- Trouvez l’expression de la vitesse de formation de C sous la forme de 2 termes :

   

3- Expérimentalement, comment feriez-vous pour trouver la valeur de la vitesse de réaction photochimique ?
4- Quel sera le rendement de la réaction photochimique ?

5- Calculez le rapport

R =  

6- Dans le cas où [A] >> [B] et où M est identique à A, dites comment expérimentalement, vous opéreriez pour minimiser l’importance de la réaction thermique (précisez l’importance d’au moins trois facteurs).
7- Si la réaction [5] était remplacée par la suivante :

       [6]         E     +      E         ® A ,         (k6)

qu’adviendrait-il du rapport d[Cl]/dt ?,  de R ?

 

6-  Le mécanisme suivant a été proposé pour la décomposition photochimique du H2O2 en présence de CO :

H2O2   +   hn ® 2  OH• f1 Ia
OH•   +   CO ® CO2H• k1
CO2H•   +   H2O2 ® CO2   +   H2O   +   OH• k2
H2O2   +   OH• ® H2O   +   HO2 k3
2  HO2 ® O2   +   H2O2 k4

Ia  est l'intensité de la lampe et f1 le rendement quantique de la première réaction.  Trouver l'expression pour la vitesse de décomposition du [H2O2].

 

7-  Pour la réaction photochimique en phase gazeuse

2  HI    ®    H2  +  I2

le rendement quantique global est 2. Trouver le nombre de grammes de HI décomposé par joule d'énergie absorbée quand le HI est irradié par une radiation monochromatique de longueur d'onde égale à 207,0 nm. Le mécanisme suivant est-il en accord avec le rendement quantique? Pourquoi?

HI + hn   ®   H• + I• ,      [1]   

H + HI   ®   H2 + I• ,      [2]

2 I•   ®   + I2 ,       [3]

 

8- La photolyse de certains alcènes à 147,0 nm produit des radicaux a-méthallyles vibrationnellement excités dans l’état électronique fondamental.  À basse pression, ces radicaux  se fragmentent en libérant le 1,3-butadiène. En utilisant les données du tableau suivant, calculez pour chacun des cas la constante de vitesse de la réaction monomoléculaire, kd, et le temps de vie des radicaux chauds.

CH3CHCH=CH2vibr      ®   H  +  CH2=CHCH=CH2DH  = 205 kJ/mol
CH3CHCH=CH2vibr  + M    ®   CH3CHCH=CH2 +  M

 

alcène (CH3)2CHCH=CH2 cis-CH3CH2CH=CHCH3 (CH3)2C=CHCH3
r (nm) 0,58 0,58 0,62
kd/ks (mmHg)      

à 147,0 nm

48 63 40

à 163,3 nm

11 13,5 7,1
réf. : a a b
r(CH3CHCH=CH2vibr)  =  0,52 nm; a : Collin, G. J. et al., Can. J. Chem., 57, 863 (1979); idem : 57, 870 (1979).

 

9- Même problème avec le radical b-méthallyle.

 

alcène CH2=C(CH3)C2H5 (CH3)2C=CHCH3 iso-C4H8
r (nm) 0,58 0,58 0,48
kd/ks (mmHg)      

à 147,0 nm

34,4 28 55

à 163,3 nm

7,0 7,8 2,0
réf. : a b c
r(CH3CH2C(CH3)CH2vibr)  =  0,48 nm; a : Collin, G. J. et al., Can. J. Chem., 57, 863 (1979); idem : 57, 870 (1979);  idem : 56, 2630 (1978).

 

 

10- La photolyse du 1-hexène à 147,0 nm produit de l'éthylène avec un rendement quantique qui dépend de la pression. Le mécanisme proposé est le suivant :

CH3CH2CH2CH2CH=CH2 + hn ® M**
M** ® CH
3CH2CH2* +
  DH = 71,2 kcal·mol-1.
CH3CH2CH2* ® C2H4 + CH3                 EA = 31 kcal ·mol-1,
CH3CH2CH2* + M ® CH3CH2CH2 + M.

Établissez l’équation de Stern-Volmer relative au rendement de l’éthylène.
En utilisant les données numériques apparaissant dans le tableau qui suit :

Photolyse du 1-hexène à 147 nm : Rendements quantiques

P (mmHg) 0,56 1,11 2,22 5,50 11,2 16,6 18,1
F(C2H4) 0,84 0,80 0,80 0,78 0,74 0,75 0,67
(suite)              
P (mmHg) 19,5 19,85 42 44 60 101  
F(C2H4) 0,69 0,686 0,617 0,62 0,56 0,43  
Deslauriers, H. et G. J. Collin, J. Photochem., 12, 249 (1980).

 

a- Tracez le graphe de Stern-Volmer
b- Déterminez le rendement en éthylène à pression nulle
c- Calculez le rapport kd/ks, par exemple, en utilisant une régression linéaire appropriée
d- Évaluez ks en utilisant la théorie cinétique des gaz
e- Déterminez la valeur de kd et donc le temps de vie des radicaux n-propyles excités

11- La photolyse du 3,3-diméthyl-1-butène à 184,9 nm est expliquée sur la base du mécanisme suivant :

(CH3)3CCH=CH2  +  hn     ®     M**

M**     ®     ·CH3  

M2**  M     ®     (CH3)3CCH=CH2  +  M.

Dans ces équations M est le monomère, kd et ks sont respectivement les constantes de vitesse d’ordre 1 et d’ordre 2. La mesure du rendement en radicaux méthyles est faite à travers la mesure des produits issus de ce radical. Le mécanisme met en jeu les réactions suivantes :

CH3   +   CH3 

   ®    C2H6
   ®    (CH3)2C=CHC2H5 ,  (6,1)*
   ®    (CH3)3CCH=CH2,     (1,0)*
   ®    CH4    +    C5H8,        (6,1)*

* : Ces valeurs numériques indiquent l’importance relative de chacune des trois réactions de combinaison-dismutation de la paire de radicaux méthyles a,a-diméthallyles.

 

1- Tracez le graphe Stern-Volmer relatif au rendement en radicaux méthyles;
2- Déterminez le rendement quantique de la fragmentation en radicaux méthyles à pression nulle;
3- Mesurez le rapport kd/ks en termes de pression.

À travers la cinétique en phase gazeuse et en vous servant de la pression comme horloge interne évaluez la constante kd et donc le temps de vie de la molécule photoexcitée.

Photolyse du 3,3-diméthyl-1-butène à 184,9 nm : rendements quantiques

Pression (mmHg) F(C2H6) F[(CH3)2C=CHC2H5]
10 0,299 0,172
25 0,255 0,23
38 0,235 0,22
50 0,222 0,21
73 0,206 0,23
100 0,180 0,17
112 0,170 0,17
125 0,157 0,18
Deslauriers, H. et G. J. Collin, Can. J. Chem., 63, 62 (1985).

 

 

12- La photolyse du cis-2-pentène à 184,9 nm est étudiée en présence de propane. Cet additif est totalement transparent à la lumière incidente et ne sert que de stabilisant. Le mécanisme réactionnel proposé est le suivant :

cis-CH3CH2CH=CHCH3   +   hn    ®    M**

M** ®    CH3   

®    CH2=CH-CH=CH2   +   •H 

+   C3H8   ® 

  

+   C3H8

 

En utilisant le graphe de Stern-Volmer, montrez que le mécanisme proposé est insuffisant pour tenir compte des résultats expérimentaux.

Propane (mmHg) 25 50 75 100 200 300 400 500 700
F(1,3-C4H6) (´100) 57,4 29,1 20,8 14,8 4,55 2,9 1,7 1,2 0,85
De Maré, G., G. J. Collin, H. Deslauriers et J. Gawlowski, J. Photochem., 30, 407 (1985).

 

Afin de montrer qu’une réaction de stabilisation de la molécule photoexcitée doit être introduite (réaction suivante), établissez la relation Stern-Volmer corrigée et tracez le graphe correspondant. Quelles sont vos conclusions ?

M**  +  C3H8    ®   C3H8*  +  CH3CH2CH=CHCH3

 


Pour en savoir plus :

Clément Michelin, Corentin Lefebvre et Norbert Hoffmann, Les réactions photochimiques à l'échelle industrielle, L'actualité chimique, Société chimique de France, N° 436, 19-27 (janvier 2019).

Calvert, J. G. et J. N. Pitts, Jr., Photochemistry, J. Wiley & Sons, Inc., New York, 1967; QD 601 C167

Cundall, R. B. & A. Gilbert, Photochemistry, T. Nelson & Sons (Canada) ltd., 1970; QD 601.2 C972

Turro, N. J., Modern Molecular Photochemistry, The Benjamin/Cummings Publ. Co., Inc., Menlo Park, 1978;

Barltrop, J. A. & J. D. Coyle, Principles of Photochemistry, J. Wiley & Sons, ltd., New York, 1978; QD 708.2 B258

Okabe, H., Photochemistry of Small Molecules, J. Wiley & Sons, Inc., New York, 1978; QD 708.2 O41

Wayne, R. P., Photochemistry, Amer. Elsevier Publ. Co., New York, 1970; QD 601.2 W35

La femtochimie : Ahmed Zewail’s Dynamic Chemistry, Chem. & Eng. News, 35-39, 22 mai 2000.

 

Sur le NET :

On ne doit pas se priver de faire des recherches sur le Net tout en maintenant un regard critique sur la qualité des sites observés. Privilégier les sites gouvernementaux, universitaires, les grandes industries, les Fondations, ...

 

EINSTEIN :     http://www.nobelprize.org/nobel_prizes/physics/laureates/1921/einstein-bio.html/ (site visité le 2020-11-06).

ZEEMAN :     http://nobelprizes.com/nobel/physics/1902b.html (site visité le 2020-11-06).

Diagramme de Jablonski :  http://micro.magnet.fsu.edu/primer/java/multiphoton/jablonski/index.html   Ce site contient une animation interactive décrivant l'absorption multiphotonique intéressante (site visité le 2019-01-18).

Phosphorescence :    http://www.umich.edu/~protein/AP/rtp.html (site visité le 2020-11-06).

Un site web très bien fait avec une approche moderne de la cinétique préparé par M. Dominique Lavabre et Mme Véronique Pimienta : http://pagesperso-orange.fr/cinet.chim/cours/chap5.html (site visité le 2020-11-06).

 

Dernière mise à jour : 2021-07-02.

x x x x x x x x x x x