CHAPITRE IV

VIBRATION

 


Objectifs

La molécule biatomique, la plus simple, vibre le long de sa liaison inter atomique. Comment peut-on observer ce mouvement moléculaire ? Est-ce que l’application de la mécanique classique renseigne sur les lois qui gouvernent ce mouvement ? L’introduction de la mécanique quantique est-elle nécessaire ? Si oui, quelles en sont les conséquences sur  l’interprétation des observations ?

Après avoir vu comment les molécules diatomiques tournent sur elles-mêmes (Chapitre 3), et surtout quelles sont les lois qui gouvernent ce mouvement de rotation, regardons maintenant le mouvement de vibration, autre mouvement interne, dont on vous a fait probablement mention dans l’un ou l’autre des contacts que vous avez eus avec la chimie.

 

 


4.1 Faits expérimentaux

On observe que les molécules biatomiques absorbent les radiations électromagnétiques dans la région de l’infrarouge, soit dans le domaine de longueurs d’onde  comprises entre 2 et 100 mm (Fig. 4.1), donc dans les régions du proche infrarouge 0,8 à 5 µm, du moyen infrarouge (5 à 20 µm) et dans l’infrarouge lointain.  Cette absorption est reliée à la vibration des molécules.

Figure 4.1.  Spectre électromagnétique et domaine d’observation de la vibration.

 

Si l’appareillage utilisé pour la spectroscopie a une faible résolution, comme ceux qu’on utilise en analyse instrumentale et si la couche de molécules est mince, le spectre d’absorption prend la forme d’une large bande appelée bande fondamentale (Fig. 4.2).

Figure 4.2.  Spectre d’absorption d’une molécule diatomique sous basse résolution montrant la bande fondamentale.

Par contre, si la dispersion instrumentale est suffisante, cette bande est résolue en raies.  Dans ce chapitre, on considérera pour le moment que le maximum d’absorption correspond à une fréquence unique caractéristique.  La structure des raies de la bande d’absorption fera l’objet du Chapitre suivant.

Le tableau 4.1 présente la position de la bande fondamentale pour quelques molécules diatomiques courantes.

 

Tableau 4.1. Bandes fondamentales de quelques molécules diatomiques

Molécule

Bande fondamentale
l (mm)

HCl

3,46

HF

2,52

HI

4,33

CO

4,66

 

On observe d’autres bandes plus faibles, appelées harmoniques, à des fréquences doubles, triples, etc. quand on fait des observations avec des couches plus épaisses.  Ces observations exigent des épaisseurs de plusieurs mètres à pression atmosphérique ou encore des cellules à miroirs parallèles qui augmentent la longueur du trajet optique. 

En première approximation, on peut représenter les fréquences caractéristiques de ces bandes par une formule du type:

(4.1)        =   b k,     k  =  nombre entier  

 

En réalité les intervalles entre les bandes successives ne sont pas égaux mais décroissent lentement, de sorte que la formule expérimentale correcte est :

(4.2)       =   b k - c k2

 

Pour HCl par exemple on mesure: b = 2 937,30 cm-1 et c = 51,60 cm-1

 

Le tableau 4.2 présente les fréquences caractéristiques des bandes observées pour HCl avec les différences de premier et de second ordre ainsi que les valeurs calculées avec l’équation 4.2.

 

Tableau 4.2. Bandes d’absorption de HCl

k

Énergie observée (cm-1)

D(cm-1)

D(D) (cm-1)

Énergie calculée (cm-1)

0

(0)

     
   

2 885,9

   

1

2 885,9

 

- 103,7

2 885,70

   

2 782,1

   

2

5 668,9

 

- 103,2

5 668,20

   

2 678,9

   

3

8 346,9

 

- 102,8

8 347,50

   

2576,1

   

4

10 923,1

 

- 102,6

10 923,60

   

2 473,4

   

5

13 396,5

   

13 396,50

 

Par ailleurs l’intensité de l’absorption de chacune des bandes diminue avec la fréquence, comme le montre la figure 4.3.

Figure 4.3. Répartition schématique des intensités des bandes de vibration.

 


4.2 Modèle mécanique de l’oscillateur harmonique

Le modèle le plus simple pouvant représenter la vibration d’une molécule est l’oscillateur harmonique.  Un tel oscillateur est défini comme un point de masse m, rappelé vers une position d’équilibre par une force, appelée force de rappel, proportionnelle à la distance du point à sa position d’équilibre (loi de HOOKE).  Plus précisément, si k est la constante de proportionnalité, appelée constante de rappel,  la loi fondamentale de la mécanique (deuxième loi de NEWTON) permet d’écrire :

(4.3)

La solution de l’équation différentielle du mouvement est bien connue :

  =   x0 sin(2 p n t + j)

n est la fréquence d’oscillation donnée par

(4.4)

Un système moléculaire diatomique peut se ramener à ce schéma mécanique. Nous supposons que les deux atomes ne sont plus liés de façon rigide, mais peuvent osciller autour de leur position d’équilibre le long de l’axe inter nucléaire. Nous supposons également que la force de rappel est proportionnelle à l’élongation ce qui n’est, nous le verrons par la suite, qu’une première approximation.

 

Si re est la distance inter nucléaire à l’équilibre (de vibration) et r la distance réelle des deux atomes au temps t on a, en appliquant la loi fondamentale de la mécanique à chacun des atomes :

 

(4.5a)

 

Dans ces relations r1 et r2 sont les positions, au même temps t, des atomes 1 et 2 par rapport au centre de masse G de la molécule.  Or, d’après la définition du centre de masse, on peut écrire (voir Chapitre 3.2, équation 3.1b)  :

4.5b

 

Les équations 4.5a et 4.5b peuvent être combinées pour former  une seule équation :

Cette équation peut également s’écrire  :

(4.6)

Cette équation a une forme analogue à l’équation 4.3. On peut donc considérer la molécule comme un oscillateur harmonique (c’est-à-dire un point matériel oscillant sous l’effet dune force de rappel proportionnelle à l’élongation) dont la masse est la masse réduite de la molécule.

 

Si l’on compare les équations 4.3 et 4.6, on voit que la fréquence angulaire d’oscillation w (exprimé en rad/s ou s-1) et la fréquence n (en Hz ou s-1) sont données par :

(4.7)

Les constantes de force sont très variables d’une molécule à l’autre, comme le montre le tableau 4.3.  Ce tableau donne les valeurs  (en N/m) de ces constantes pour quelques molécules diatomiques.

Tableau 4.3.  Vibration moléculaire et constante de force

Molécule Bande d’absorption
(en cm
-1)
Constante de force
(N/m)
Remarque
CºO 2 143 1840 Liaisons multiples fortes
N=O 1 876 1530
H-F 2 905 970 Décroissance de la force de la liaison avec la diminution de l’électronégativité
H-Cl 2 886 480
H-Br 2 559 410
H-I  2 230 320

Inspiré de  http://www.univ-tln.fr/~gfev/Spectro/09Spectro.html (ne semble plus être accessible).

Dans un tel mouvement, il y a continuellement transformation de l’énergie potentielle en énergie cinétique. On peut donc caractériser l’énergie du système par son énergie potentielle V.  Celle-ci est liée à la force F par la relation :

L’expression de l’énergie potentielle est obtenue par l’intégration de cette relation, ce qui donne si l’on suppose que V = 0, quand r = re :

 

C’est l’équation d’une parabole avec un minimum nul pour r = re.  L’énergie totale est égale à l’énergie potentielle pour une vitesse nulle, c’est-à-dire lorsque la masse atteint les positions d’élongation minimum ou maximum.  

 

Figure 4.4.  Transformation entre énergie potentielle et énergie cinétique. La distance à l’équilibre correspond au minimum de la courbe parabolique (voir l'animation dans la section Diaporama, chapitre 4, diapos 11).

En théorie classique, toutes les élongations sont possibles ainsi que toutes les valeurs de l’énergie. L’absorption ou l’émission de l’énergie par une molécule en vibration devrait être un phénomène continu. Nous allons voir comment la mécanique quantique a permis de modifier cette conception.  Voyons maintenant comment la mécanique quantique a permis de modifier cette conception.

 


 

4.3 Signification physique du modèle classique

 

Matérialisons la courbe d’énergie potentielle par un tube dans lequel circule sans frottement une bille d’acier. Cette bille assimilée à un point matériel possède, du fait du champ de pesanteur, l’énergie potentielle de la molécule. Son mouvement (tout au moins du point de vue énergétique) représente le mouvement de la molécule. La condition quantique implique que la bille part de hauteurs bien déterminées au-dessus du minimum d’énergie potentielle.

 

Si on lâche la bille à partir d’un certain niveau énergétique, elle passera par le minimum de la courbe pour remonter au même niveau (puisqu’il n’y a pas de frottements) puis exécutera des oscillations en reproduisant le même mouvement. La molécule fera de même si on écarte les deux atomes : elle repassera par un état où la distance inter nucléaire est re pour aller jusqu’à un état où la distance inter nucléaire est plus faible. Cet état correspondra à la même énergie potentielle qu’au départ. Ensuite, elle oscillera entre ces deux positions extrêmes. On voit, par analogie avec le mouvement de la bille que les oscillations ne sont pas symétriques. La molécule passe plus de temps à décrire la demi oscillation correspondant à une élongation que la demi oscillation correspondant à une contraction.

 


 

4.4 Traitement quantique du modèle mécanique

 

Selon la mécanique quantique, le mouvement de la molécule est décrit par l’équation de SCHRÖDINGER qui dans ce cas s’écrit (voir Chapitre 2) :

E est l’énergie totale de la molécule et  y(r) est la fonction d’onde, dont le carré du module donne la donne la distribution de probabilité de la distance internucléaire r. La solution de cette équation fournit les valeurs possible de l’énergie totale :

(4.8)                       E   =   h n (u + 1/2)

 

n est la fréquence de vibration et u est un nombre quantique de vibration pouvant prendre les valeurs :

u  =  0, 1, 2 . . .

 

L’énergie de la molécule ne peut posséder que certaines valeurs bien définies; on parle alors de valeurs discrètes. Sur le diagramme représentant l’énergie potentielle (Fig. 4.5), les niveaux d’énergie totale possibles sont représentés par des lignes horizontales équidistantes. L’intersection de ces lignes horizontales avec la parabole représente les élongations minimales et maximales de la liaison où l'énergie potentielle est égale à l’énergie totale.

Figure 4.5.   Courbe de potentiel de l’oscillateur harmonique montrant les niveaux d’énergie prévue par la mécanique quantique.

Mentionnons également que la description quantique du mouvement de l’oscillateur harmonique remet en question non seulement le caractère continu des valeurs d’énergie, mais aussi la nature même de ce mouvement.

Ainsi, la mécanique quantique prévoit, du moins pour de petits nombres quantiques, que les positions extrêmes sont moins probables que les positions situées près de l’équilibre, alors que le traitement classique prévoit exactement le contraire..  En effet, selon le modèle classique, l’oscillateur se déplace plus lentement quand il se trouve loin de la position d’équilibre.  Il passe donc une plus grande partie de son temps dans ces régions.  En conséquence, à un instant quelconque, il y a plus de chances de le trouver loin de sa position d’équilibre que près de celle-ci.

Toutefois, en dépit de ses limitations, le modèle classique (ou semi-quantique quand on lui associe la quantification des énergies possibles) demeure utile pour représenter e comprendre bon nombre des caractéristiques du mouvement des molécules.

 


4.5 Spectre d'absorption de l’oscillateur harmonique

Les variations d’énergie de la molécule peuvent seulement se produire entre les niveaux d’énergie totale possibles. La nécessité de variation du moment dipolaire pour qu’il y ait absorption ou émission de radiation impose des règles de sélection. On peut montrer théoriquement que les seules transitions permises doivent satisfaire la relation :   

  Du  =  ± 1.  

Le signe ± indique que si la molécule peut absorber de la lumière.  Le chemin inverse est aussi possible : on observe le phénomène de l'émission et  la règle de sélection devient : Du  =  - 1.

 

L'énergie correspondant au passage de u = 1 à u = 0 (donc en émission) peut être facilement calculée. Nous avons :

h est la constante de PLANCK et c la vitesse de la lumière.  En absorption, nous n’envisageons pas les transitions qui ne partent pas du niveau u = 0 car à la température ordinaire (à laquelle ont lieu en général les expériences d’absorption) pratiquement toutes les molécules sont dans l’état u = 0 (voir plus loin, chapitre VI).

On représente le plus souvent la quantité n/c par we. Ce nombre we a la dimension d’un nombre d’onde et s’exprime donc en cm-1. Il ne représente pas autre chose que la fréquence de vibration propre de la molécule exprimée en nombre d’onde. Le modèle harmonique explique l’existence de la bande fondamentale caractéristique de chaque molécule, mais pas la présence des autres bandes que nous avons appelées harmoniques.

 


4.6  Perfectionnement du modèle quantique de l’oscillateur anharmonique

 

Il est immédiatement évident que l’oscillateur harmonique est un modèle trop simple. Tout d’abord, toutes les fréquences expérimentales ne sont pas représentées. En effet, comme à la température ordinaire seul le niveau fondamental est peuplé, (il n’y a pas de molécules dans les états de vibration correspondant au nombre quantiques u  > 0), on ne devrait observer qu’une seule bande d’absorption, celle correspondant au passage des molécules de l’état fondamental, u = 0, vers l’état de vibration immédiatement supérieur, u = 1 puisqu’en absorption la règle de sélection se réduit à Du = +1.  On a vu que si la première bande est très intense, on observe aussi d’autres bandes d’absorption à des fréquences plus élevées.  Ensuite, ce qui est plus grave, la fonction potentielle est certainement fausse.

 

En outre selon cette fonction, l’énergie potentielle croît indéfiniment à mesure que la distance inter nucléaire augmente. Si l’énergie potentielle était infinie pour des atomes très éloignés les uns des autres, on devrait pouvoir récupérer une énergie infinie lorsqu’on les rapproche jusqu’à la distance internucléaire. Inversement, il faudrait fournir une énergie infinie pour séparer les deux atomes. Or, on sait que cette dernière énergie est finie. C’est l’énergie de dissociation de la molécule.

 

L’énergie potentielle réelle est donc représentée par une courbe qui n’est pas une parabole. La branche droite doit tendre asymptotiquement vers une valeur finie. La branche gauche suit à peu près la forme parabolique, quoique croissant plus vite.

 

En première approximation on a montré théoriquement que l’on pouvait représenter la courbe par la formule :

 

(4.9)                V    =     f (r - re)-  g (r - re)3

 

g étant un coefficient beaucoup plus petit que f. Cette nouvelle courbe se superpose au voisinage du minimum avec la parabole précédente (Fig.  4.6). Ceci explique le succès partiel du premier modèle. Cette courbe de potentiel est caractéristique d’un oscillateur anharmonique. Dans un tel oscillateur, la force de rappel n’est plus proportionnelle à la distance.

 

Figure 4.6.  Courbe de potentiel de l’oscillateur anharmonique.

 

La nouvelle valeur du potentiel portée dans l’équation de SCHRÖDINGER donne les niveaux d’énergie. Ces niveaux sont donnés par un développement en série de la forme :

h n ( u  + 1/2)  -  h n xe ( u  + 1/2) 2  +  h n ye ( u  + 1/2) 3  +  . . . 

xe est une constante sans dimension beaucoup plus petite que l’unité;  les termes suivants, en puissance croissante de (u + 1/2) et qui font intervenir des constantes analogues ye, ze, . . .  de plus en plus petites, deviennent rapidement négligeables. En pratique, les deux premiers termes suffisent à représenter les résultats expérimentaux avec une précision acceptable.

 

 

L’expression qui donne la valeur en cm-1 des niveaux d’énergie est appelée terme spectral noté G(u) :

(4.10)

Le diagramme de niveaux d’énergie de l’oscillateur anharmonique est donc composé d’une série de lignes qui ne sont pas tout à fait équidistantes. L’intervalle entre les lignes décroît progressivement d’une petite quantité chaque fois que l’on passe d’un niveau à un niveau supérieur.

 

La quantité wexe est appelée constante d’anharmonicité et le terme qui la contient est nommé correction d’anharmonicité.

 

Le tableau 4.4 donne des valeurs des constantes de force et d’anharmonicité pour quelques molécules.  Les valeurs données pour les molécules homonucléaires ne sont pas déterminées par absorption infrarouge mais par les spectres électroniques qui seront présentés dans le Chapitre 8.

Tableau 4.4. Constantes de vibration pour quelques molécules

Molécules

we (cm-1)

wexe (cm-1)

weye (cm-1)

H2

4 401,21

121,34

 
H-D 3 813,1 91,65  
D2 3 115,50 61,82 0,562

H35Cl

2 990,95

52,82

0,224 37

H81Br

2 648,97

45,22

- 0,0029

H127I

2 309,01

39,64

- 0,0200

CO

2169,81

13,29

 

N2

2 358,57

14,324

- 0,002 26

35Cl2

559,7

2,67

- 0,0067

127I2

214,5

0,61

 

Tiré de https://webbook.nist.gov/chemistry/name-ser/ .

 


 

4.7 Spectres d'adsorption de l’oscillateur anharmonique

 

Les règles de sélection sont un peu modifiées par rapport au modèle simple précédent. On trouve que si la transition Du = ± 1 se produit toujours avec une grande probabilité, les transitions Du = ± 2, ± 3 etc. peuvent également se produire, mais avec une probabilité beaucoup plus faible.

 

Les fréquences des raies correspondant à ces transitions peuvent être facilement trouvées :

1   =   G(u = 1) - G(u = 0)   =   we - 2 wexe        (bande fondamentale)

2   =   G(u = 2) - G(u = 0)   =   2 we - 6 wexe    (première harmonique)

 

De façon générale, on a :

(4.11)         u   =   G(u) - G(u = 0)   =   u (we - wexe) - u2 wexe

Si  l’on pose    b   =   we - wexe    et    c  =  wexe , on peut réécrire l’équation 4.11 de la façon suivante

Þ  u   =   bu - cu2

 

Cette dernière formule est tout à fait identique à la formule empirique 4.2 et de ce fait la théorie devient plus correcte.

 

D’autre part, la faible probabilité des transitions Du = 2, 3 . . . peut être reliée à la décroissance rapide de l’intensité des diverses harmoniques du spectre d’absorption (Fig. 4.3).  Cette relation est abordée plus en détails dans le chapitre 8.8.

 

Figure 4.7. Courbe anharmonique et transitions en vibration.
(Note : la largeur des flèches traduit grossièrement l'importance quantitative des transitions.  Voir aussi la courte animation dans la section Diaporama).

 


 

4.8 Relation entre les fréquences de vibration et d’absorption

La question que l’on peut se poser est la suivante : existe-t-il une relation entre  la fréquence de la vibration de la molécule et la fréquence de la bande fondamentale observée dans le spectre d’absorption?  D’une part rappelons que la fréquence de la vibration de la molécule notée n dans les équations précédentes est la même quel que soit le nombre quantique u. Elle est donnée par la relation  4.7.

D’autre part, la bande fondamentale en absorption est associée à la transition entre les niveaux u = 0 et u = 1.  Sa fréquence, notée pour l’instant nmn est reliée à la différence d’énergie entre ces deux niveaux par la relation : 

Etransition  =  h nmn.  

D’après la relation 4.8, cette différence d’énergie est donnée par :

Etransition  =   Eu = 1  -  Eu = 0    =   h n (3/2)  -  h n (1/2)  =  h n

En comparant ces deux relations, on conclut que la fréquence de la bande fondamentale d’absorption (en fait de toute transition où la variation du nombre quantique de vibration est d’une unité) est égale, selon un modèle semi-classique, à la fréquence de la vibration de la molécule.

 


 

4.9 Énergie du point zéro

Le niveau énergétique de vibration le plus bas que la molécule put atteindre est celui qui correspond à u = 0. L’énergie correspondante:

(4.12)

n’est pas nulle. Autrement dit, il est impossible que la molécule s’arrête complètement de vibrer. Même dans l’état énergétique le plus bas, la molécule possédera toujours un peu d’énergie de vibration. Ce niveau d’énergie minimum est appelé l’énergie du point zéro.

 

L’énergie de dissociation (ou énergie de liaison) spectroscopique est l’intervalle De compris entre l’asymptote et le minimum. L’énergie de dissociation chimique est Do, celle mesurée à l’aide de la thermochimie, intervalle entre l’énergie du point zéro et l’asymptote de dissociation.

Figure 4.8.  Courbe de potentiel de MORSE montrant les énergies de dissociation spectroscopique (De) et chimique (D0).

 

 


4.10 Constantes moléculaires déterminées à partir des constantes de vibration

Les constantes théoriques d'harmonicité we et d'anharmonicité wexe peuvent être déterminées expérimentalement en comparant les équations 4.10 et 4.2.  La constante we est liée à la fréquence vraie de vibration de la molécule, donc à la constante de force réelle k du mouvement (équation 4.7).  Par contre, la constante wexe n’est liée directement à aucune grandeur fondamentale de la molécule, mais elle est d’extrême importance pour fixer les positions relatives des niveaux. La connaissance précise de ces positions permet, par extrapolation, de déterminer l’énergie de dissociation.

 

Détermination de l’énergie de dissociation: Méthode de BIRGE-SPOONER

Les spectres de vibration du proche infrarouge sont expérimentalement difficiles à observer pour des nombres quantiques élevés. Aussi, un petit nombre de niveaux (en général 2 ou 3) peut être déterminé, ce qui est très insuffisant pour obtenir une valeur précise de we et wexe. On observe un nombre de niveaux beaucoup plus grands dans les spectres électroniques dont nous parlerons plus tard (Chapitre 8), et on obtient de ce fait, des valeurs acceptables des constantes. Voici cependant dès maintenant une méthode approximative qui permet de déterminer l’énergie de dissociation en supposant we et wexe déterminés expérimentalement.

 

Le terme spectral G(u) représente l’énergie des niveaux mesurée en cm-1. Nous admettrons que les niveaux se rapprochent de plus en plus et que, à la limite la différence entre deux niveaux tend vers zéro lorsque ceux-ci atteignent la valeur de l’énergie de dissociation De.

 

Il en résulte qu’à la limite, c’est-à-dire au voisinage de l’énergie de dissociation : DG = 0

     DG  =  G(u + 1) - G(u)  =  0

Calculons d’abord, à l’aide de l’équation 4.10 l’expression de DG en fonction de u :

G(u + 1) =  we (u + 3/2) - wexe (u + 3/2)2

- G(u)  =  - we (u + 1/2)  +  wexe (u + 1/2)2

DGwe - wexe (2u + 2)  =  we - 2 wexe u - 2 wexe

En admettant que xe << 1, ou que we >> wexe, il vient que

DG  =  we - 2 wexe u

et donc DG = 0  lorsque u  =   umax  =

Cette expression pour la valeur maximum de u permet de calculer De. En effet, en la substituant à u dans l’équation 4.10, on obtient après quelques manipulations algébriques, 

Mais comme wexe est négligeable devant we, a fortiori on peut négliger (wexe)2 devant we2, le dernier terme wexe/4 est donc négligeable devant le rapport  we2/4 wexe, de sorte qu’on obtient l’expression simple suivante, appelée formule de BIRGE-SPOONER :

(4.13)

Exemples :

Tableau 4.5. Autres constantes vibrationnelles

Molécules

we (cm-1)

wexe (cm-1)

De (cm-1)**

XeCl*

195,2

0,54

17 640

CsCl

214,17

0,731

15 687

XeF*

308,6

1,52

 

35Cl2 (B 3P0+)*

259,5

5,3

3 176

F2

916,64

11,24

18 688

NBr

691,75

4,72

 
* :  molécules dans un état électronique excité; 
**: valeurs calculées avec la formule de Birge-Spooner.

 

Les valeurs obtenues par la formule de BIRGE-SPOONER sont relativement proches des valeurs tirées de l’expérimentation.  En fait elles sont souvent légèrement supérieures (~ 20 %) aux valeurs expérimentales déterminées, par exemple, en thermochimie.  La figure suivante montre la corrélation qui existe entre les valeurs expérimentales et les valeurs ainsi calculées.  Sur cette figure, la droite pointillée correspond à l’identité entre les valeurs calculées par la méthode de BIRGE-SPOONER et celles mesurées à l’aide de la thermochimie.   Si le point représentatif de HF se place sur la droite pointillée représentant l’égalité entre les valeurs calculées et les valeurs mesurées, toutes les autres valeurs calculées sont en dessous de cette droite pointillée.

Figure 4.9.  Comparaison entre les valeurs des énergies de dissociation mesurées et calculées.

 

Rappelons enfin l’intérêt de la méthode qui indique la valeur du nombre quantique de vibration au voisinage de l’asymptote (limite de dissociation).

 


4.11 Expression mathématique de la courbe de potentiel complète

Il est de toute première importance de connaître avec exactitude la forme de la courbe de potentiel. La détermination expérimentale est mal aisée car on ne peut obtenir, en général, que quelques points de la courbe. Cependant, pour certaines molécules, il a été possible de la déterminer avec une précision relativement satisfaisante. La distance inter nucléaire re peut être déterminée à la fois à partir des spectres de rotation pure et à partir de l’analyse aux rayons X (dans ce dernier cas, il faut tenir compte des interactions moléculaires). Il est possible d’obtenir De à partir des spectres de vibration pure. Do peut être obtenu par voie purement chimique (thermochimie). Enfin, on peut obtenir d’autres points car, dans certains cas, les courbes de potentiel correspondant aux états excités de la molécule coupent la courbe de l’état fondamental, ce qui donne lieu à des phénomènes observables (voir plus loin).

 

Plusieurs formules théoriques ont été proposées pour représenter de manière plus adéquate la courbe de potentiel.  La formule à deux termes déjà citée (4.9) n’est pas satisfaisante lorsqu’on s’écarte trop du minimum.  La formule la plus utilisée est la formule de MORSE.

 

(4.14)            V  =  De [1 - e-b(r - re)]2

avec  b  =      

Dans cette égalité,    

        c   est la vitesse de la lumière,
       µ   est la masse réduite, et
       h   la constante de PLANCK.

On calcule b à partir des valeurs expérimentales de we et De et on peut ensuite tracer la courbe. On constate que :

pour r ® ¥     V ® De
pour r
® re     V = 0
pour r
® 0     V ® valeur finie.

Ce dernier point est faux puisque le potentiel devrait croître indéfiniment à mesure que les noyaux se rapprochent. C’est peu important car cette partie de la courbe est de peu d’intérêt; il est en effet difficile de rapprocher les noyaux au-delà d’une certaine limite. La partie droite de la courbe par contre mérite d’être bien représentée, ce qui est réalisé par la formule de MORSE (Fig. 4.10).

Figure 4.10. Courbes de potentiel d’une molécule diatomique.

 

CONCLUSIONS

L’application de la mécanique classique est insuffisante pour l’interprétation des observations spectroscopiques du mouvement de vibration des molécules diatomiques. Par contre, elle permet de mieux comprendre l’application de la mécanique quantique.

D’après la mécanique quantique, les molécules diatomiques ne peuvent vibrer que selon des niveaux d’énergie quantifiés qui se traduisent par l’introduction d’un nombre quantique de vibration.  De plus des règles de sélection qui précisent les transitions acceptables entre ces niveaux. 

Par ailleurs, l’interprétation du spectre observé dans le proche infrarouge permet d’obtenir la fréquence de vibration de la molécule, la constante de force de la liaison, de même qu’une très bonne approximation de l’énergie de rupture de cette liaison ou encore de l’énergie de dissociation de la molécule. 

Fait à noter, même à la température du zéro absolu, la molécule vibre toujours.

 

 


4.12 Exercices

 

1.  Une solution de CO dans le tétrachlorure de carbone montre une bande d’absorption vers 2 140 cm-1.  

        Calculez la constante de force de la liaison CO, k, en dynes/cm.

 

   

2.  Les valeurs de we, wexe (en cm-1) et de re pour H2, HD et D2 sont les suivantes :

Molécules

we (cm-1)

wexe (cm-1)

re (nm)

H2

4 401,21

121,33

0,074

HD

3 813,1

91,65

 

D2

3 115,5

61,82

 

• Calculez l’énergie du point zéro pour chaque molécule en SI.

Réponse :  Pour HD, on a E(u = 0) =  1 883,6 cm-1 =  22,52 kJ/mol.

• Calculez l’énergie de dissociation de chaque molécule; commentez.

• Tracez approximativement sur le même diagramme les trois courbes de Morse.

• Placez, en utilisant des couleurs différentes les 4 premiers niveaux de vibration de chaque molécule.

 

3. La molécule excitée XeF* (état B 2P1/2 présente un spectre de vibration tel que :

          we  =  308,6 cm-1    et     wexe  =  1,52 cm-1

Calculez l’énergie de dissociation de cette molécule en cm-1, en cal/mol, et J/mol.

Réponse :  E  =   1873,1 J/mol.

4. La bande fondamentale n1 de CO est située à 2143,3 cm-1 et la première harmonique 2 n1 à 4259,7 cm-1.

• Calculez we et wexe, la constante de force de la liaison et le nombre de vibrations par seconde.

Réponses :  we =      2 170,2  et   wexe   =      13,45 cm-1

• Évaluez l’énergie de dissociation spectroscopique de la molécule et en faire la comparaison avec la valeur thermodynamique (à rechercher dans la littérature) (réf. ?).

• Quelle est l’énergie du point zéro de la molécule?

• Dans un état électronique de CO, on observe des valeurs we' et wexe'  égales à 1518,24 et 19,4 cm-1. Calculez l’énergie de dissociation de cet état électronique excité.

• Dessinez sur le même graphe, E = f(rC-O), ce que pourrait être les deux courbes de Morse.

• Si kT est l’énergie disponible par degré de liberté, comparez cette énergie à celle requise pour exciter la transition fondamentale.

Conclure.

 

5.     Un oxyde diatomique a une bande de vibration égale à 1 876 cm-1 et une constante de force de 1 550 Nm-1.

         Identifiez par le calcul la molécule.

Réponse :  la molécule est N=O.

6.  La molécule DCl présente les caractéristiques de vibration suivantes (exprimées en cm-1) :

we = 2 145,163,  we xe  =  27,1825   et  weye  =  0,086 49.

Calculez les énergies en cm-1 des 11 premiers niveaux d’énergie de vibration dans l’hypothèse des modèles harmonique et anharmonique ainsi que dans le cas de la correction du terme cubique.  En déduire l’importance relative de la correction due à l’anharmonicité par rapport au modèle harmonique ainsi que celle due à l’introduction du terme cubique par rapport au modèle anharmonique.  Concluez.

 

7. En spectroscopie électronique (voir plus loin), on mesure les constantes B dans divers états u du niveau fondamental de la molécule d’oxygène. Calculez, à partir des valeurs apparaissant dans le tableau suivant, le rayon de la molécule dans chacun des états u mentionnés.

u

B(u) (cm-1)

u

B(u) (cm-1)

0

1,437 67

4

1,374 92

1

1,421 83

5

1,359 42

2

1,406 10

6

1,343 96

3

1,390 47

7

1,328 51

 

 

8.      La littérature donne les valeurs de rupture de certaines liaisons chimiques (tableau suivant).  Comparez ces valeurs à celles que vous pouvez calculez  à partir des données numériques qui apparaissent dans le tableau 4.4.

 

 

Liaison

Énergie de dissociation
(kJ/mol)

Liaison

Énergie de dissociation
(kJ/mol)

H-H 436 I-I 151
H-F* 563 Cl-Cl 218
H-Cl 432 N=N 946
H-I 299 C=O 724

* On donne les valeurs pour la molécule F2 we  = 4138,3   et   wexe =  89,88  cm-1.

Pour en savoir plus:

Sur le web : 

En complément à ces notes de cours, visitez  : http://benhur.teluq.uquebec.ca/~mcouture/Fodar99/modules.htm

On trouve aussi un site interactif préparé par le professeur Marc Couture, de la TÉLUQ (Montréal), site qui permet de mettre en relief divers modes de rotation et de vibration de 24 molécules allant de molécules biatomiques  jusqu'au méthane : http://benhur.teluq.uquebec.ca/~mcouture/Fodar99/Hzdemo.htm (visité le 2019-02-25)

Malheureusement, avec les changements technologiques sensées améliorer les TIs, les animations ne sont plus accessibles (2020-11-16).

Une base de données, appelée WebBook, contenant, entre autres, les valeurs des constantes moléculaires (incluant les constantes de rotation B et D) des molécules diatomiques, est disponible sur le site du National Institute of Standards and Technology (NIST). On peut y faire une recherche par nom de molécule, ou encore à partir d'une liste de 400 molécules diatomiques, tirée des travaux de Huber et Herzberg.

Valeur des constantes de rotation : https://webbook.nist.gov/chemistry/name-ser/ (visité le 2021-06-16).

Une recherche rapide sur le web permet de trouver des exemples concrets de modes normaux de vibration de molécules polyatomiques. Certains demandent l'usage d'applications qui sont en généreal également disponibles. Citons, par exemple:
- un site en provenance de l'Université Purdue, prof. John Nash, prof. de chimie, qui traite de plusieurs molécules décrites dans ce chapitre: https://www.chem.purdue.edu/jmol/vibs/index.html (visité le 2021-07-23).

 

Dernière mise à jour: 2021-07-23.

 

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