CHAPITRE XIII

 

 

CONSTANTES DIÉLECTRIQUES 

 POLARISATION MOLÉCULAIRE

 


 Objectifs

On a décrit la molécule en termes géométriques et énergétiques. Ces molécules sont constituées d’un réseau de noyaux chargés positivement et d’un nuage électronique au sein duquel on retrouve des électrons chargés négativement. Certaines molécules ont aussi un moment dipolaire.

Questions :
   - Comment ces molécules réagissent dans un champ électrique continu, alternatif ?
   - Quelles sont les lois qui gouvernent ce type d’interaction ?
   - Quelles informations relatives à la structure des molécules peut-on obtenir ?

Objectifs :
   - Comprendre les interactions entre un champ électrique externe et les molécules;
   - Aprivoiser les lois qui gouvernent ces interactions.


 


13.1 Constantes diélectriques

À partir de la loi de COULOMB décrivant l’interaction de deux charges q et q' à la distance r, la force f est telle que :

(13.1)

qui en unités SI s’écrit :

On définit une constante e qui dépend du milieu interposé et qui s’appelle la permittivité absolue du milieu. Dans le vide, on a :

et l’on sait que, par suite du choix des unités SI, on a (voir un cours d’électromagnétisme) :

(Faraday/mètre)

 

Les formules qui suivront dans ce chapitre seront valables dans le système international (SI) sauf cas indiqués. Le plus souvent, on caractérise un diélectrique par le rapport de sa permittivité absolue à la permittivité du vide :

K  =  e / e0

 

K est la constante diélectrique. C’est un nombre sans dimension donc indépendant des unités choisies.

On sait que l’on peut calculer la capacité d’un condensateur d’après sa forme géométrique. Celle-ci est toujours proportionnelle à e. Par exemple, pour un condensateur cylindrique dont les rayons intérieur et extérieur sont respectivement R1 et R2 :

Figure 13.1.  Condensateur cylindrique.

 

 

Dans le cas d’un condensateur plan (S est sa surface) :

En mesurant la capacité d’un condensateur plan ou cylindrique dans le vide et dans un milieu de permittivité e, on aura :

(13.2)

On a donc ainsi une méthode de mesure de K.

On peut mesurer la capacité en courant continu mais les mesures précises de capacité se font en courant alternatif. Le condensateur à mesurer est placé dans un pont alimenté en alternatif au moyen d’un générateur donnant la fréquence désirée. On compare ce condensateur à un condensateur étalon variable placé dans une autre branche du pont. On peut encore comparer deux circuits par la méthode des battements : l’un inclut le condensateur à mesurer, l’autre le condensateur étalon.

Tableau 13.1. Quelques valeurs de constantes diélectriques K

Gaz        K Liquides      K Solides     K
Vide     1 CO2    1,585 Paraffine    2,3
He    1,000 127 Cl2    2,0 Iode    4
H2S    1,000 30 CCl4    2,24 Phosphore blanc   3,6
N2    1,000 580 Benzène    3,1 Phosphore rouge    4,1
Air    1,000 590 CHCl3    5,05 Verre    5 à 7
CO2    1,000 985 C2H5OH    25,7 Mica    8
C2H2    1,001 34 Glycol    41,2 Diamant   16,5
HCl    1,004 6 H2O    83,6  

 

REMARQUES

- Si on ne cherche pas une précision extrême, on pourra comparer la capacité à mesurer à la capacité du condensateur dans l’air, la permittivité absolue de l’air étant très voisine de celle du vide.
- La constante diélectrique varie dans des intervalles très larges. Elle dépend de la forme physique du corps (CO2, phosphore).

 

 


13.2 Polarisation des diélectriques

Dans un condensateur plan placé dans le vide, le champ entre les deux armatures est :

(13.3)

Si l’on remplace le vide par une lame diélectrique de permittivité e le champ devient :

(13.4)

Q = Quantité de charges portées par chaque plaque,
S  = surface des armatures,
s = densité superficielle de charge.

Q ne change pas puisque le circuit électrique n’a pas été touché. On a donc :

(13.5)

FARADAY fut le premier à reconnaître que ce phénomène était dû à la polarisation moléculaire. En effet, les molécules sont formées de porteurs de charges mobiles (électrons et noyaux). Ces porteurs de charges réagissent sous l’action du champ suivant leur signe et leur déplacement dans le champ provoque une distorsion de la molécule. Celle-ci, supposée neutre en absence de champ devient un petit dipôle électrique.

 


13.3 Moment dipolaire moléculaire

a. Molécules neutres en l’absence de champ

Une molécule telle que N2, Cl2, C6H6 a une symétrie telle qu’elle constitue un ensemble électriquement neutre. Le centre de gravité des charges négatives et le centre de gravité des charges positives se trouvent au même point: la distance r qui sépare les deux charges q et q' est nulle.

Le champ électrique va déplacer légèrement les électrons dans un sens et les noyaux dans le sens opposé. La molécule ne sera plus électriquement neutre. On dit qu’elle est polarisée (Fig. 13.2).

 

Figure 13.2.  Effet du champ électrique sur une molécule.
Voir une animation en Powerpoint (chapitre 13, diapos. 14).

 

On peut schématiser une molécule polarisée en remplaçant toutes les charges négatives par une charge -q et toutes les charges positives par une charge +q placées à la distance d. Le moment dipolaire est :

m = q d

Si la molécule est neutre à l’origine, le seul moment dipolaire est dû à la distorsion; c’est la polarisation de distorsion encore appelée la polarisation induite. Cette polarisation donne un moment proportionnel au champ appliqué à la molécule.

mD = aD Eeff.

Le symbolisme aD est appelé polarisabilité  et Eeff est le champ efficace local agissant sur la molécule.

Par analogie on définit une polarisation nucléaire et une polarisation électronique puisque la polarisation de distorsion résulte d’un mouvement simultané et opposé du réseau nucléaire et du nuage électronique :

mn = an Eeff           an   est la polarisabilité nucléaire,
me = ae Eeff               ae   est la polarisabilité électronique.

On a les relations:

mD   =   mn + me   =   an Eeff + ae Eeff

aD   =   an + ae

On définit un moment électrique par une unité de volume (n molécules/unité de volume) :

(13.6)            ID = n mD = n (an + ae) Eeff

En résumé, une molécule neutre en l’absence de champ électrique devient sous l’action du champ un petit dipôle électrique. Le moment de ce dipôle est proportionnel au champ. La constante de proportionnalité est la polarisabilité. Cette polarisabilité dépend de la nature des forces qui lient les électrons au noyau.

 

b. Molécules polaires en l’absence de champ

 

Prenons pour exemple les molécules diatomiques (le raisonnement sera valable pour n’importe quelle molécule) : la liaison dans une molécule diatomique ne sera entièrement covalente que si les deux atomes sont identiques. Les électrons de valence seront alors partagés entre les deux noyaux de façon symétrique (H2, Cl2, etc.).

Si les deux atomes ne sont pas identiques ils différent par leur affinité électronique. Dans HCl par exemple, l’atome de chlore aura tendance à attirer l’électron de l’hydrogène et la liaison aura un caractère partiellement ionique. Si la liaison était totalement ionique, la molécule serait équivalente à un dipôle formé par deux charges +e et -e placées à la distance inter nucléaire. La liaison étant partiellement ionique, le dipôle est formé par deux charges +q et -q à la distance inter nucléaire re. q est de toute façon de l’ordre de grandeur de e. La molécule possède donc de ce fait un moment électrique permanent.

m = q re

Tableau 13.2. Quelques polarisabilités moléculaires (en CGS)

Substance

aD*

Substance

aD*

Substance

aD*

He

0,20

HCl

2,63

CH4

2,60

Ne

0,39

H2O

1,44

CH3Cl

4,62

Ar

1,62

H2S

3,64

CHCl3

8,56

H2

0,80

N2O

3,01

CCl4

10,5

N2

1,73

CO2

2,64

C6H6

25,1

Cl2

4,61

NH3

2,26

   

aD* en 10-24 cm+3.

On définit une unité commode de moment dipolaire moléculaire comme le moment d'un dipôle de charge q = 10-10 CGS-UES (ordre de grandeur de la charge d’un électron) et de longueur r = 10-8 cm (ordre de grandeur de la distance inter nucléaire). Cette unité a reçu le nom de DEBYE.

1 D = 3,335 640 10-30 C·m (coulomb-mètre)
1 D = 10
-10 CGS-UES × 10-8 cm = 10-18 CGS de moment dipolaire

En réalité, les électrons de valence ne sont pas les seuls à subir l’affinité électronique des atomes; cependant, la contribution des électrons des couches intérieures au moment dipolaire permanent est toujours très faible.

L’action du champ sur les molécules possédant un moment permanent va se traduire par une orientation de la molécule. Le moment permanent est en effet lié à la symétrie de la molécule (il est dirigé suivant l’axe inter nucléaire dans une molécule diatomique) et son orientation par le champ entraînera l’orientation de la molécule. Cet alignement serait total si rien ne venait le perturber. L’agitation thermique crée le désordre et entre précisément en compétition avec le champ. On définit un moment électrique par une mole dû à l’orientation.

Io = n ao Eeff  

Dans cette égalité, ao est appelé polarisabilité d’orientation. Elle est liée au moment dipolaire permanent et à la température (Fig. 13.3).

 
En l'absence de champ, les
molécules sont orientées au hasard.
  En présence de champ alternatif,
les molécules tournent à la vitesse
du champ.

Figure 13.3.  Action du champ électrique sur une molécule polaire.

 

Compte tenu des trois phénomènes précédents, le moment total par unité de volume prend la forme :

(13.7)        I = ID + Io = n (ae + an + ao) Eeff

 

c. Calcul du champ électrique efficace

Pour mesurer le champ efficace qui s’exerce sur une molécule il faut creuser un petit trou dans le diélectrique autour de la molécule et évaluer l’action des charges qui environnent le point. Ce trou doit être petit par rapport au condensateur mais grand par rapport aux dimensions de la molécule, de sorte qu’il contienne un certain nombre de molécules.

Les charges environnantes peuvent être décomposées en groupes :

- La charge agissante portée par les plaques du condensateur en présence du diélectrique qui crée le champ ED.
- Les charges des dipôles moléculaires. Ces dipôles étant à une distance grande du point considéré, leur effet est nul.
- Les charges qui se développent sur l’intérieur de la cavité sphérique dont la densité est I. Pour calculer le champ dû à ces charges il faut intégrer l’action de chaque charge I ds portée par chaque élément de surface ds. On trouve 1/3
e0. Il est facile de voir sur le schéma que ce champ est dans le même sens que le précédent.
- Les charges situées à l’intérieur qui ne sont pas à une grande distance du point de la sphère. On admet que l’action de ces charges s’annule mutuellement et qu’il n’y a pas de champ résultat (par suite de la position au hasard des dipôles, l’action de l’ensemble des charges positives est compensée par l’action des charges négatives).

On a donc finalement (voir un cours approprié d’électromagnétisme) :

(13.8)

 

 


13.4 Relation de CLAUSIUS-MOSSOTI

Le champ efficace calculé précédemment fait intervenir la polarisation par unité de volume comme une grandeur macroscopique. D’autre part, la considération des molécules individuelles a donné la relation 13.7 faisant intervenir les paramètres moléculaires ae, an, ao.

L’identification des deux relations 13.7 et 13.8 donne :

n est lié aux grandeurs molaires N et M et à la masse spécifique r , (M/V = r),

 n  =  N r / M

La relation précédente s’écrit en SI :

   (13.9)

La même relation en CGS-UES s’écrit :

C’est la relation de CLAUSIUS-MOSSOTI qui permet de calculer la polarisation molaire totale à partir de la mesure de la constante diélectrique.

Il faut maintenant pour que cette relation soit intéressante, déterminer séparément ae et an. On pourra ainsi déterminer ao. Il faut ensuite calculer ao en fonction du moment dipolaire permanent de la molécule. Le premier nombre de l’équation 13.9 s’appelle polarisation molaire PM. Puisque K est sans dimension, la dimension de la polarisation molaire est un volume (dimension de M/r). Elle s’exprimera donc en m3 dans le SI.

Note : Unités

En SI :

 

 

mol-1/ L-3 = mol-1/(Faraday·L-1)[a]

Faraday·m2 = [a]

ou encore Q2 L-2 M-1 T2 L2 = a

[a]  =  s2 · m-1 · C2 

ou encore sont acceptables - Faraday·m2         

C·m2·V-1        C2·m·newton-1

En CGS :

a  =  cm3    en CGS. 

 

 


13.5 Calcul de la polarisation d’orientation

 

Les bases physiques du calcul de la polarisation d’orientation sont exactement les mêmes que celles de l’orientation des moments magnétiques dans le champ magnétique. La théorie de LANGEVIN s’applique donc au moment électrique dipolaire puisque la même compétition entre le champ et la température détermine la valeur du moment résultant.

Le calcul est cependant un peu différent puisque les positions q relatives du moment électrique et du champ peuvent être quelconques alors que les positions relatives du moment magnétique et du champ sont fixées par la quantification spatiale. Les sommes qui interviennent dans le calcul magnétique sont remplacées ici par des intégrales étendues à toutes les valeurs de q.

Le calcul de LANGEVIN donne pour un ensemble de n atomes de moment magnétique m placé dans le champ H un moment magnétique résultant

Le calcul de LANGEVIN donne également pour un ensemble de n molécules de moment électrique m placé dans le champ Eeff, le moment électrique résultant.

 

Nous avons donc :

 

(13.10)

Remarque : la théorie de LANGEVIN ne tient pas compte de l’interaction entre les dipôles. La valeur de ao est donc seulement valable pour des molécules éloignées (gaz ou solutions liquides très diluées).

 


13.6 Première méthode de mesure du moment dipolaire par variation de température

 

En portant la valeur de ao dans l’équation de CLAUSIUS-MOSSOTI on obtient :

(13.11)

La détermination de m se fera en mesurant PM à diverses températures. PM est obtenu en mesurant K et r. La courbe représentant PM = f (1/T) est une droite dont la pente est N m2 / 9 k e0.

Cette méthode nécessite de mesurer K avec cinq décimales au moins car sa variation avec la température est très faible. Elle nécessite un appareillage coûteux et un réglage minutieux de la température.

 


13.7 Deuxième méthode de mesure de moment dipolaire: réfraction moléculaire

Toutes les substances ne peuvent pas être justiciables de la méthode de variation de température car certaines ne sont pas stables dans un intervalle de température suffisamment grand. Une autre méthode de mesure (la plus couramment employée) consiste à mesurer séparément l’effet de la polarisation électronique, Pe, de la polarisation nucléaire, Pn,  et de la polarisation d’orientation P0.

On peut en effet écrire d’après 13. 9 :

PM = Pe + Pn + Po

L’identité de la valeur de la vitesse de la lumière dans le vide et de la valeur de la vitesse des ondes hertziennes dans le vide est une preuve en faveur de la théorie électromagnétique de la lumière. MAXWELL l’avait prédit 20 ans avant sa confirmation expérimentale. On sait que la vitesse de la lumière dans un milieu dont l’indice de réfraction est nD, est c/nD.

D’autre part, si on mesure, dans certaines conditions, la vitesse de propagation des ondes électromagnétiques dans un milieu dont la constante diélectrique est K, on trouve la valeur :

Dans un milieu unique dont l’indice est nD et la constante diélectrique K, l’onde électromagnétique doit avoir la même vitesse donc :

(13.12)

Cette relation entre la constante diélectrique et l’indice de réfraction est effectivement vérifiée dans certains cas pour des radiations visibles (doublet jaune du sodium) (Tableau 13.3). Dans d’autres cas, elle n’est pas du tout vérifiée.

Tableau 13.3. Constantes diélectriques et indices de réfraction

Substance

K

Laser 
(632,8 nm)

nD (raie jaune de Na)

Air

1,000 295

1,000 274

1,000 293

He   1,000 066 1,000 036
Ar   1,000 232 1,000 281

H2

1,000 132

 

1,000 138

CO2

1,000 473

1,000 399

1,000 449

C6H6

1,49

 

1,482

Quartz (indice ordinaire)

2,11

 

1,5

 

 

L’accord est bien meilleur lorsqu’on peut mesurer l’indice dans la région des longueurs d’ondes infrarouges. On trouve nD = 2,12 pour le quartz à 20,5 mm. Ces variations montrent que la fréquence de l’onde électromagnétique intervient pour modifier le phénomène que l’on mesure. En effet, mesurer l’indice de réfraction dans le visible revient à mesurer la constante diélectrique pour des fréquences extrêmement grandes du champ appliqué (de l’ordre de 1014 cycles par seconde).

La mesure de constantes diélectriques se fait en courant alternatif avec des fréquences de l’ordre de 106 cycles par seconde. La polarisation du diélectrique ne doit donc pas se produire de la même façon pour des fréquences faibles et pour des fréquences élevées.

On interprète ce phénomène de la façon suivante : c’est la rapidité de réponse des trois types de polarisation qui diffère beaucoup. La polarisation électronique répond à des champs de haute fréquence car les électrons peuvent se déplacer facilement. Lorsque le champ se retourne, la polarisation change immédiatement de sens, même si le retournement est très rapide. Les noyaux sont plus lourds, donc plus difficiles à déplacer. Ils suivent moins facilement le champ. Les moments dipolaires propres des molécules ne suivent plus du tout le champ aux hautes fréquences car toute la molécule doit se retourner à chaque alternance du champ. On voit sur la courbe (Fig. 13.4) qu’il existe une fréquence très nette pour laquelle les moments dipolaires propres interviennent dans la polarisation (1011 cycles par secondes).


Figure 13.4. Polarisation molaire totale et fréquence de la mesure.

Les nombres obtenus par nD2 et K ne concordent pas, même lorsque la molécule examinée ne possède pas de moment dipolaire propre. En effet, si n est mesuré dans le visible, seule la polarisation électronique intervient. On peut écrire :

(13.13)

C’est la relation de LORENZ-LORENTZ.

Si la molécule possède un moment dipolaire propre, les nombres nD2 et K ne coïncideront que si on peut mesurer nD dans l’infrarouge très lointain ou dans la région des radiofréquences, ce qui est très difficile expérimentalement.

Nous avons donc un moyen expérimental de séparer les trois polarisations Pe, Pn et Po. La mesure de l’indice de réfraction dans le visible donne Pe. La mesure de K à l’aide d’un pont à fréquence radio donne Pe + Pn + Po.

Pour obtenir Po, donc le moment dipolaire, il faudrait connaître Pn. On peut le connaître soit en mesurant l’indice dans l’infrarouge (difficile) soit en utilisant la méthode de variation de température et l’équation de CLAUSIUS-MOSSOTI (pas toujours possible), soit en l’estimant à partir de composés analogues pour lesquels la mesure a été faite. C’est cette dernière solution qui est adoptée. Pn est de l’ordre de 5 à 15 % de Pe.

 

Mesures en solution

On place le corps dont on veut mesurer le moment dipolaire dans un solvant non polaire. On utilise des solutions diluées pour séparer au maximum les dipôles, de façon à satisfaire aux hypothèses de LANGEVIN. La polarisation molaire mesurée est la somme des polarisations de distorsion du solvant pur (mesurée séparément) et du soluté, et de la polarisation d’orientation du soluté. On fait cette mesure pour des valeurs décroissantes de la concentration et on extrapole pour une concentration nulle pour éviter les erreurs dues aux interactions dipôle-dipôle.

 

 


13.8 Autres méthodes de détermination des moments dipolaires

 

a. Spectroscopie en hyperfréquences

Lorsqu'un champ électrique est appliqué aux molécules, les raies de rotations pures se dédoublent. Cet effet est appelé effet STARK (voir Chapitre 9.6) et est en partie analogue à l’effet ZEEMAN. Le dédoublement dépend de l’intensité du champ et de la valeur du moment dipolaire. Cette méthode est extrêmement précise.

 

b. Intensité des raies d’absorption infrarouge

Nous avons vu qu’une vibration de la molécule était inactive, c’est-à-dire ne correspondait pas à une absorption infrarouge si elle n’était pas accompagnée par une variation du moment dipolaire. Plus la variation de moment dipolaire est grande, plus l’intensité d’absorption est grande. On peut relier théoriquement l’intensité des bandes d’absorption à la valeur du moment dipolaire.

 

c. Méthode du faisceau moléculaire

Cette méthode est analogue à l’expérience de STERN et GERLACH. Elle est utile pour les substances de faible solubilité ou de faible volatilité. La substance est chauffée dans un petit four et le faisceau moléculaire sortant par une ouverture passe dans un champ électrique non uniforme. En l’absence de champ, le faisceau laisse une trace sur un récepteur approprié (plaque de métal froide). En présence de champ, la trajectoire des dipôles est déplacée et la tache s’élargit. Le déplacement dépend du champ et du moment dipolaire.

 


13.9 Moments dipolaires et structure moléculaire

Tableau 13.4. Moments dipolaires de quelques molécules gazeuses

M

Moment dipolaire (Debye)

M

Moment dipolaire (Debye)

M

Moment dipolaire (Debye)

HF

1,92

CO2

0,00

CH3NH2

1,31

HCl

1,08

NH3

1,4

C6H5Cl

1,69

HI

0,38

PCl3

0,90 - 1,16

o-C6H5Cl2

2,50

DCl

1,08

SnCl4

0,95

m-C6H5Cl2

1,72

H2O

1,87

SnI4

0,0

p-C6H5Cl2

0,0

H2O2

2,13 ± 0,05

TiCl4

0,0

C6H6

0,0

H2S

1,1

CH4

0,0

C6H5OH

1,45

HDSe

0,62

CH3Cl

1,05

C2H6

0,0

SO2

1,60

CH2Cl2

1,60

C3H8

0,084

SO3

0,00

CHCl3

1,94

HCHO

2,33

NO

0,16

CCl4

0,0

CH3CHO

2,69

CO

0,10

CH3OH

1,70

CH3COOH

1,74

1 Debye = 3,336 10-30 C·m.

On trouvera d’autres valeurs de moments dipolaires dans : Selected values of electric dipole moments for molecules in the gas phase, NSRDS-NBS 10, U.S. Dept of Commerce, septembre 1967.

Les moments électriques fournissent deux sortes de renseignements sur les structures des molécules :

1. La proportion suivant laquelle une liaison est polarisée en permanence ou son caractère ionique relatif.
2. Un aperçu sur la symétrie et la disposition géométrique de la molécule, en particulier les angles entre les liaisons.

Quelques exemples d’application

- Caractère ionique de HCl

La distance H¾Cl déterminée spectroscopiquement est 0,126 nm. Si la structure était H+ Cl-, le moment électrique serait: m = 1,26 × 4,80 = 6,05 D.   Le moment réel de 1,03 D suggère donc que le caractère ionique de la liaison est seulement 1/6, soit 16% ionique.

- Le moment dipolaire correspondant à une liaison est une quantité vectorielle, dirigée suivant l’axe inter nucléaire. On peut obtenir une valeur approximative du moment dipolaire en faisant la somme vectorielle des moments des diverses liaisons. Ainsi, si m(C¾Cl) est le moment dipolaire du chlorobenzène, on devrait espérer une valeur m(C¾Cl) pour l’ortho-dichlorobenzène, m(C¾Cl) pour le méta-dichlorobenzène et zéro pour le para-dichlorobenzène (Fig. 13.5). Cette addition vectorielle n’est pas strictement vérifiée puisque à la fois la grandeur et la direction des moments individuels peuvent être altérées par interaction avec les autres moments de la molécule. Mais, on voit que, même vérifiée de façon approchée, la mesure du moment dipolaire apportera des informations sur la symétrie de la molécule. Ces informations pourront venir à l’appui des autres méthodes (spectrales par exemple). Cependant, si la conclusion dépend seulement de la grandeur du moment dipolaire, il sera utile de s’en méfier.

 

Figure 13.5. Composition vectorielle des moments dipolaires de liaison sur les dérivés chlorés du benzène.

 

- L’anhydride carbonique CO2 n’a pas de moment électrique malgré les caractères électronégatifs différents du carbone et de l’oxygène. On peut en déduire que la molécule est linéaire. Les moments dus aux deux liaisons CO s’annulent exactement par addition vectorielle.

- Par contre, l’eau doit avoir une structure triangulaire puisque le moment n’est pas nul. On a calculé que chaque liaison O¾H a un moment de 1,60 Debyes et que l’angle des liaisons est donc d’environ 105o, comme le montre un schéma vectoriel.

- La valeur zéro des moments du paradichlorobenzène et du trichlorobenzène symétrique indique que la molécule du benzène est plane et que les moments de liaisons C¾Cl sont dans le plan de l’anneau. Par contre, le moment 1,64 D de l’hydroquinone indique que cette molécule n’a pas de centre de symétrie (les liaisons OH ne sont pas dans le même plan que l’anneau, Fig. 13.6).

 

Figure 13.6. Composition vectorielle des moments dipolaires de liaison sur des dérivés hydroxylés du benzène :
phénol (µ = 1,7 D) et para-dihydroxybenzène (µ = 1,64 D).

 

 

- On peut obtenir des informations sur certaines réactions à l’aide du moment dipolaire. Par exemple, on a un grand nombre de raisons de penser que le chlorure mercureux HgCl2 est linéaire, et ne doit pas posséder de moment dipolaire. Pourtant, en solution dans le dioxane C4H8O2, on lui trouve un moment par la formation d’un composé oxonium avec le dioxane.

 


13.10 Additivité de la réfraction moléculaire

On appelle réfraction moléculaire la grandeur de :

On sait maintenant que cette grandeur représente la polarisation électronique de la molécule. La réfraction moléculaire a été pendant longtemps un moyen rapide d’analyse des structures moléculaires par suite de son caractère additif. La réfraction moléculaire ou polarisation électronique de la molécule doit être la somme des polarisations électroniques des atomes constituants car les liaisons perturbent relativement peu l’énergie électronique des atomes. Autrement dit, le moment dipolaire de distorsion créé par le champ dans la molécule doit être voisin de la somme des moments dipolaires créés par le champ dans chaque atome pris séparément. Cette relation d’additivité n’est que très approximativement vérifiée et l’on doit ajouter à la somme des réfractions moléculaires atomiques un incrément qui tient compte de la nature de la liaison. Il est bien évident par exemple que la polarisation d’un groupe C¾C ne doit pas être la même que celle d’un groupe C=C.

Le tableau 13.5 donne des valeurs par atome ou groupe d'atomes de ces valeurs « additives ».

Tableau 13.5. Valeurs de quelques réfractions molaires par groupes d’atomes

Groupe      RM

Groupe        RM

Groupe     RM

Cl         5,84 O (éther)        1,76 S (sulfures)        7,92
Br        8,74 O (acétate)    1,61 NH2 (amines)    4,44
I        13,95 OH    (alcool) 2,55 NH (amines)    3,61
F         0,81 SH    (thiol)     8,76      NO2            6,71
H(dans CH2)   1,03 CO (acétone)   4,60 ONO (nitrites)    7,24
C(dans CH2)   2,59 COO (ester)    6,20 NO (nitrosos)    5,20
CH2       4,65 COOH              7,23      CO3             7,70
CH3       5,65 CºN                5,46       SO3           11,34
n-C4H9    19,59 S-CºN           13,40      PO4            10,77
iso-C4H9    19,62 C3H5 (allyle)   14,52   N=C=S         15,62
tert-C4H9    19,85 C6H5 (benzyle)  25,36 Incréments particuliers :
  C=C                  6,52 cycle en C3        0,61
  Cº C                 7,24 cycle en C4        0,32

Nota: valables à la raie D du sodium; RM est exprimé en cm3/mol 
ou en 10
-6 m3/mol, à 20 oC.

 

Les réfractions atomiques et les incréments ont été déterminés empiriquement par différences sur un grand nombre de molécules.

Le moment dipolaire peut être extrêmement intéressant pour déterminer la symétrie de grosses molécules organiques qui ne peuvent pas être étudiées par d’autres méthodes (les méthodes spectroscopiques deviennent très difficiles et longues à appliquer lorsque le nombre d’atomes augmente). Par exemple, le thiantrène C12H8S2 et les composés correspondants avec le sélénium et le tellure ont un moment dipolaire fini alors que la phénazine C12H8N2 a un moment nul. Il est donc probable que la phénazine est plane alors que le thiantrène est plié suivant la droite S¾S.

Des informations intéressantes peuvent être obtenues au sujet de la rotation autour d’une liaison. Une substance telle que le dichloroéthane ClH2C¾CH2Cl peut exister sous quatre formes possibles. Tout d’abord, elle peut exister sous forme de molécules dans lesquelles chacune des deux moitiés est libre de tourner librement autour de la liaison C¾C. Dans ce cas, la substance aura un moment dipolaire fini, indépendant de la température. Deuxièmement, la molécule peut être fixée en permanence dans la configuration trans et elle aura un moment nul à toutes températures. Troisièmement, la molécule peut avoir la configuration cis et son moment aura une valeur finie du même ordre que dans le cas de la rotation libre et indépendante de la température. Enfin, les molécules peuvent être un mélange de cis et de trans. Mais comme l’élévation de température favorise la formation de la forme cis, le moment dipolaire devrait croître avec la température. C’est effectivement ce que l’on observe. On peut donc conclure que les deux formes existent en équilibre.

 




CONCLUSIONS

En présence de champ électrique le réseau nucléaire est attiré par la région négative et le nuage électronique vers la région positive du champ électrique. En régime alternatif les composantes électriques de la molécule suivent le champ et donc se mettent à osciller, à tourner à la fréquence du champ, ces propriétés dépendant de la fréquence du champ.

La loi de CLAUSIUS MOSSOTI montre le lien qui existe entre la polarisabilité totale et la constante diélectrique de la molécule.

La mesure du moment dipolaire est une application de ces phénomènes.

La relation de LORENZ-LORENTZ fait le lien entre l’indice de réfraction et la polarisation électronique. Il en découle que la réfraction est une propriété additive atomique à laquelle on ajoute une correction due à la configuration particulière des liaisons.


 


13.11 Exercices

1. La constante diélectrique de SO2 gazeux a été déterminée à différentes températures :

T °C)

-5,7

24,0

63,7

170,6

K

1,009 92

1,008 12

1,006 48

1,003 91

 

a) Calculez le moment dipolaire en Debye en admettant que SO2 se comporte comme un gaz parfait.

Réponse : 1,65 Debye.

b) Calculez dans le système CGS la polarisabilité électronique de la molécule sachant que l’indice de réfraction de SO2 est nD = 1,000 686 à 0 °C sous 760 mmHg.

 

2. Le moment dipolaire de HBr est de 0,780 Debye et sa constante diélectrique est 1,003 13 à 273 K et sous 1 atm. Calculez la polarisabilité induite de cette molécule.

Réponse : 2,34 cm3·mol-1.

 

3. La densité de SiHBr3 est de 2,69 g cm-3 à 25 °C, son indice de réfraction est 1,578 et sa constante diélectrique est 3,570; estimez le moment dipolaire en Debye.

Réponse : m = 0,794 D.

 

4. La constante diélectrique du méthane est de 1,000 94. En supposant que le méthane se comporte comme un gaz idéal, calculez la polarisation molaire totale et la polarisabilité de cette substance.

Réponse :   (ae + an)  =  2,79 1024 cm3.

 

  1. La mesure de la constante diélectrique de HCl gazeux donne les résultats suivants :

T (K)

198,0

201.4

273,0

294,2

373,0

433,9

473,0

588,8

K

1,007 60

1,007 45

1,004 60

1,003 79

1,002 60

1,001 95

1,001 60

1,001 18

En admettant que HCl se comporte comme un gaz idéal, calculez :

- le moment dipolaire de HCl en Debye,
- la polarisabilité totale de cette substance à 298 K.

Réponse :  atotal = 1,344 10-39 C2s2 m-1.

 

6.   Calculez la réfraction molaire des composés suivants :

Composés

Densité (g.cm-3)

nD

chlorure de tert-butyle

0,843

1,386 9

alcool butylique secondaire

0,806

1,392 4

              et comparez vos résultats avec la règle de l’additivité des réfractions molaires atomiques.

Pour en savoir un peu plus

Sur le web :  

LANGEVIN :  http://www.ob-ultrasound.net/langevin.html (Visité le 2019-02-26).

 

Dernière mise à jour : 2021-07-07.

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