CHAPITRE 1

 

La chimie physique : sa genèse

   

Préambule

La compréhension de notre environnement, qu’il soit physique, chimique ou biologique, repose sur le concept de la théorie atomique de la matière.  Cette approche théorique de l’infiniment petit a constitué en effet une source remarquable et quasiment sans limite à la compréhension et à l’interprétation des phénomènes qui nous entourent et constituent l’essence même de la vie.

Il est donc naturel de se demande comment cette théorie a pris naissance, comment elle a évolué, voire quelles en sont les limites.  C’est donc à une sorte d’approche historique à laquelle ce premier chapitre convie son lecteur.

   

1. L’Antiquité

Dans les temps anciens les plus reculés, l’homme réalisait des transformations chimiques sans le savoir tout comme M. Jourdain parlait en prose sans le savoir.  Dès la plus haute Antiquité, les chinois connaissaient la poudre à canon et fabriquaient des céramiques.  Les égyptiens savaient extraire un certain nombre de métaux dont l’or et l’argent.  Ils pratiquaient plusieurs techniques comme la teinture et la poterie.  Plusieurs produits comme l’indigo et le tournesol étaient extraits de plantes.  Le sol était déjà source de minium (oxyde de plomb), vert de gris (carbonate basique de cuivre), ocre de fer,…  Les phytomédecines étaient à la mode tout comme les huiles parfumées.  On rapporte qu’à l’époque de la guerre de Troie (1250 avant J.-C.) les Mycéniens connaissaient l’extraction par expression de plusieurs matériels en provenance du règne végétal. La macération de fleurs déposées dans de l’huile chaude ou de graisse fondue de même que le procédé d’enfleurage étaient également connus. 

Les premiers essais de théorisation de la matière sont le fait d’une série de philosophe grecs.  Ils ont proposé plusieurs doctrines ambitieuses dont la caractéristique principale était de ne reposer sur aucun support expérimental.  Les idées et les conceptions intellectuelles primaient sur toute autre considération.  On essayait alors d’apporter des réponses à des questions du type :

Pourquoi et comment tout ce qui existe s’est-il produit ?

Quelles sont les origines et la finalité de la matière ?

Pour THALÈS (625-547 avant J.-C.) : rien ne vient de rien, tout vient et retourne à l’eau.  Pour un autre, l’air constituait le principe de toute chose.  Pour PYTHAGORE, à chaque élément correspondait une figure géométrique. Le cube était associé à la terre, le tétraèdre au feu, l’octaèdre à l’air et l’icosaèdre à l’eau. Ces références à l’eau, à l’air, à la terre et au feu vont persister pendant plus de deux milles ans.

LEUCIPPE (495 avant J.-C.) considérait que les éléments que sont l’eau, l’air, la terre et le feu (Tableau 1.1) sont des composés que l’on peut diviser  jusqu’à obtenir des particules insécables, les atomes.

DÉMOCRITE (450-390 avant J.-C.) reprit la doctrine de l’atomisme de LEUCIPPE. Son argumentation repose sur le raisonnement suivant. « Si tout corps est divisible à l’infini, de deux choses l’une : ou il ne restera rien ou il restera quelque chose.  Dans la première éventualité, la matière n’a qu’une existence virtuelle ; dans la seconde, on doit se poser la question : que reste-t-il ?  La réponse la plus logique réside dans l’existence d’éléments réels, indivisibles appelés atomes ».

 

Tableau 1.1.  Les quatre éléments

Élément   Symbole   Éléments Symbole
eau air
terre feu

 

PLATON  (429-349 avant J.-C.) puis ARISTOTE (381-322 avant J.-C.) ne retinrent pas cette approche atomistique.  Ce dernier ajouta l’éther, sorte de quintessence de la matière.

Les romains avaient un esprit beaucoup plus pratique que philosophique.  La réflexion philosophique va alors céder le pas à l’observation. Le monde devient plus pratique que théorique.

La dynastie des Ptolémée qui a régné sur l’Égypte de 305 à 30 avant J.C. vont protéger et développer l’École d’Alexandrie, haut lieu du savoir durant cette époque.  Les adeptes de cette école vont pratiquer une chimie empreinte de magie et de superstition.  Ce n’est pas à proprement parler une période féconde pour l’avancement de la réflexion sur la chimie.

 

 

2. L’alchimie et le Moyen-âge  

L’alchimie, la chimie du Moyen-âge, fut assimilée par les arabes vers le milieu du VIIe siècle.  Elle a cheminée vers l’Italie, l’Espagne.  Ce n’est qu’après le XIe siècle qu’elle s’est développée au sein de l’Occident chrétien.

La préoccupation majeure des alchimistes était de découvrir la pierre philosophale, pierre aux multiples propriétés matérielles et spirituelles : elle devait permettre la fabrication de l’or à partir d’autres matériaux et devait aussi procurer jeunesse, santé, longue vie et pourquoi pas l’immortalité.  Le défaut majeur de cette approche, en plus d’avoir fait l’objet d’une pratique secrète empreinte de magie, a été d’ignorer la méthode scientifique et le sens critique.

À cette époque, la science ne progresse plus : en un certain sens elle rétrograde, à tout le moins en Europe.  Ce continent était pour ainsi dire coincé entre le pouvoir temporel et absolu des monarques régnant et le clergé qui disposait (seul dépositaire) de la religion, des sciences et des lettres.

Pendant ce temps, le monde musulman ne s’intéressait pas spécialement à la science mais plutôt à la médecine et à la pharmacie.  La première pharmacie voyait le jour à Bagdad vers la fin du VIIIe siècle et seulement 3 siècles plus tard à Salerne, en Italie du sud.

 

3. Le passage de l’alchimie à la chimie (XVIe siècle)

L’invention de l’imprimerie vers 1450, la découverte du Nouveau monde en 1492, les débuts de la Renaissance et de la Réforme (retour  à l’esprit de l’Antiquité et à l’humanisme) vont modifier profondément les comportements : l’alchimie va laisser la place à la chimie.  L’expérience alliée à un excellent sens de l’observation et à un sens critique aigu va contrer et permettre de se débarrasser d’un mysticisme sclérosant.  Les deux approches, l’ancienne alchimie et la nouvelle chimie vont s’affronter pendant quelque deux siècles : l’évolution est lente avec des avancées et des retours en arrière.

PARACELSE (1493-1541), médecin et alchimiste suisse enseignait la médecine à Bâle. Il aurait occupé la première chaire de chimie au Monde dans cette université.  Il jouissait d’un grand prestige et n’hésitait pas à contester les normes en place et à provoquer.  Un tantinet charlatan, il prétendait disposer de la recette de création d’un être humain.  Le sel, le soufre et le mercure viennent s’ajouter aux éléments d’ARISTOTE.  On retient surtout qu’il fut le créateur de la théorie selon laquelle tous les phénomènes physiologiques et pathologiques sont dus à des réactions chimiques : c’est l’iatrochimie.

 

Tableau 1.2.  Les trois principes de Paracelse

Principe Description Symbole
mercure Principe du lourd, du liquide et du volatil
sel Principe de la solubilité et de la résistance au feu
soufre Principe de la combustion et de la chaleur

 

Les premières études systématiques des minerais et la minéralogie sont le fait d’un allemand : AGRICOLA (1494-1555).  Il fut l’un des premiers à utiliser le terme « fossile ».  Il décrit avec détails diverses méthodes de traitements des minerais, la préparation de métaux lourds, la séparation de l’or et de l’argent,…

LIBAVIUS (1550-1616) étudie les acides camphrés et arsénieux et classe les métaux en deux groupes : les vrais métaux (or, argent, fer,…) et les demi-métaux (antimoine, arsenic,…).

En France, Bernard PALISSY (1510 - ~1590) verrier de profession, découvre le secret de la fabrication des émaux.  Chimiste, géologue, il est aussi le précurseur de la paléontologie par ses études et ses observations sur les fossiles.

Mentionnons qu’à cette époque, bravant toutes les idées préconçues en la matière (risquant l’anathème), un astronome polonais, COPERNIC (1473-1543), osa prétendre et démontrer l’héliocentrisme : le double mouvement des planètes sur elles-mêmes et autour du soleil.

Le philosophe anglais, mais aussi juriste, procureur général, garde des sceaux, grand Chancelier,… Francis BACON (1561-1626) expose les principes d’une méthode inductive et expérimentale.  Refusant l’empirisme spontané tout autant que le rationalisme abstrait, il fait de la connaissance scientifique la recherche des causes naturelles des faits et la détermination de leur forme.

Alors que les observations et les percées technologiques devenaient de plus en plus importantes, le pouvoir religieux était en train de sombrer au milieu de guerre de religion.  Ce terrain devenait très fertile pour le développement d’une approche scientifique beaucoup plus rationnelle. 

 

4. Le XVIIe siècle ou le siècle de la Raison

De nombreux scientifiques, en Italie GALILÉE (1564-1642) célèbre pour son étude du pendule, en France DESCARTES (1596-1650) bien connu pour le Discours de la méthode, en Angleterre NEWTON (1642-1727) connu entre autres choses pour sa théorie de l’attraction universelle, … pour ne nommer que ceux-là vont pouvoir travailler dans un climat plus serein.  Diverses académies des sciences voient le jour dans plusieurs pays européens : Londres 1660, Paris 1666, Berlin 1700,… L’enseignement de la chimie devient officiel à Paris en 1648 !

Un bruxellois, J. B. Van HELMONT (1577-1644), fervent utilisateur de la balance comme le sera plus tard LAVOISIER, distingue les gaz ininflammables comme le « gaz sylvestre », le gaz carbonique, des gaz inflammables comme le gaz des marais, le méthane, le gaz qui se dégage pendant l’attaque d’un métal par un acide (l’hydrogène n’allait être découvert que plus tard).

En Angleterre, R. BOYLE (1627-1691) fit un grand nombre de découvertes dans le domaine de la chimie analytique.  On lui doit plusieurs nouveaux (pour l’époque) réactifs : le nitrate d’argent, l’ammoniac, un indicateur coloré, le sirop de violette,  pour distinguer les acides des bases, la séparation du méthanol de l’acide acétique à l’aide de la distillation fractionnée, la préparation de l’acétone à partir de l’acétate de plomb,…  Il est aussi bien connu par la loi de  compressibilité des gaz que découvrit indépendamment le moine français MARIOTTE (1620-1684), d’où le nom de loi de BOYLE-MARIOTTE.

En France, Jean REY (1583-1645), médecin et chimiste durant ses loisirs, remarqua que la calcination de l’étain et du plomb se traduisait par une augmentation de leur poids.  Il eût cette idée avant-gardiste que l’air était responsable de cette augmentation de poids.   Il est sans doute le premier à avoir imaginé et proposé le principe de conservation de la matière, principe attribué plus tard à LAVOISIER, bien que ce dernier ne l’ait jamais revendiqué.

J. R. GLAUBER (1604-1668), chimiste et pharmacien allemand, en plus d’être connu par son sel (sulfate neutre de sodium) dont il étudia les propriétés thérapeutiques, peut être considéré comme le fondateur de l’industrie chimique et innovateur en matière de brevet industriel, ne révélant à autrui ses découvertes que contre rémunération.

 

5. Le XVIIIe siècle

On peut s’en douter, une pléiade de chimistes, certains plus importants que d’autres, on fait du XIXe siècle celui du développement des bases modernes de la chimie.  Vouloir faire la liste de ces scientifiques en y précisant quelles furent leurs marques serait un  travail laborieux.  On cite en fin de chapitre quelques références qui permettront au lecteur d’approfondir ses connaissances historiques.  Notons déjà que la communauté internationale des chimistes est en train de se former et l’attribution de découvertes à l’un plutôt qu’à un autre est parfois sujette à caution.

S’il faut caractériser ce siècle, il concerne l’apparition de la théorie du phlogistique développée en Allemagne, théorie fausse dans son essence qui en cristallisant les efforts des uns pour la soutenir et des autres pour la contrer aura permis des avancées spectaculaires tant dans le domaine de la pensée scientifique que dans l’augmentation des connaissances.  Toute cette période voit apparaître les bases de la chimie quantitative.  Cette théorie du phlogistique sera définitivement reléguée à l’histoire par les travaux de LAVOISIER qui aura en outre le mérite d’introduire l’usage systématique de mesures quantitatives dans ses travaux de laboratoire.

Il revient au médecin et chimiste allemand E. STAHL (1660-1734) d’avoir élaboré la théorie du phlogistique afin de rendre compte de ses observations lors de la calcination des métaux, de la combustion et de la respiration.  Le phlogistique, selon cette théorie, était contenu dans tout composé combustible et transformable sous l’action de la chaleur.  Ainsi, le phlogistique se dégagerait au cours d’une réaction d’oxydation.  Un métal, en brûlant devrait donc perdre du poids.  En fait puisqu’il s’oxyde, il en gagne… Le produit résiduel de l’oxydation serait susceptible de redonner le composé combustible initial par apport de phlogistique.  À cette époque, le phlogistique devait être un substrat concret, propriété qui devait conduire au rejet de la théorie.

Cette théorie est reprise à l’occasion par divers scientifiques.  CAVENDISH est de ceux-là.  En effet, alors qu’il s’intéressait à « l’air inflammable », l’hydrogène, il propose que lors de l’attaque d’un métal par un acide, le gaz libéré n’est rien d’autre que le phlogistique jusque là jamais isolé.  Il se ravisa plus tard et retint plutôt que ce gaz devait être de l’« hydrate de phlogistique ».  D’autres, comme PRIESTLEY (« air phlogistiqué » pour l’azote), continueront de faire référence à la théorie du phlogistique, seule théorie disponible en ce début du XVIIIe siècle.  SCHEELE associera le phlogistique au calorique…

Par ailleurs de nombreux chimistes se dévoilent tout au long de ce siècle et plusieurs de leurs idées vont permettre à LAVOISIER de mettre un terme à cette théorie.  M. LOMONOSSOV (1711-1765), père de la littérature russe moderne, également professeur de chimie, récrivit le principe de conservation de la matière déjà énoncé par REY : « tous les changements se font de telle sorte que ce qu’on enlève à un corps, on l’ajoute à l’autre ».

En Angleterre, J. BLACK (1728-1799) et H. CAVENDISH (1731-1810) vont créer les premiers rudiments de la future thermodynamique chimique, le premier en mettant en évidence la chaleur latente, le second en définissant la chaleur spécifique ; il mesura la chaleur spécifique de plusieurs composés, travaux qui malheureusement demeurèrent non publiés.  Ces deux scientifiques apportèrent de nombreuses autres contributions en particulier à la connaissance de la composition de l’air. 

À ces deux savants, il faut leur ajouter le nom d’un compatriote : J. PRIESTLEY (1733-1804) qui a découvert l’oxygène. En fait, les percées scientifiques deviennent si nombreuses que ces travaux doivent être rapprochés de ceux de C.-W. SCHEELE (1742-1786) en Suède et de ceux de A.-L. LAVOISIER (1743-1793) en France. Alors que le premier brillait par son sens de l’observation des faits, donc sur le plan expérimental, le second avait un esprit de généralisation sans équivalent.

Vouloir résumer l’œuvre de LAVOISIER en quelques lignes tien de la gageure.  Retenons qu’il a introduit l’usage systématique de mesures physiques dans les expériences tels que la balance, le thermomètre, le calorimètre,…   Outre sa détermination de la composition de l’air et de nombreux autres travaux, il faut identifier son travail très clair sur la composition de l’eau.  Alors que CAVENDISH, sur des travaux similaires et quasi simultanés, faisait  référence au « phlogiston » pour en expliquer la composition, LAVOISIER pouvait affirmer que l’eau n’était pas l’élément simple admis depuis l’Antiquité mais bien une composition d’oxygène et d’hydrogène.

Cette approche qualifiée de théorie « antiphlogistique » par les tenants de la théorie du phlogistique rencontra un grand nombre de détracteurs tout particulièrement en Allemagne.  On brûla cette théorie avec l’effigie de LAVOISIER… Néanmoins, l’approche de LAVOISIER allait rapidement faire de nombreux adeptes dans la presque totalité des pays européens et ailleurs.

Avant de clore sur ce siècle, quelques lignes sur la naissance de l’industrie chimique.  Le premier procédé industriel de synthèse de l’acide sulfurique fut érigé en Angleterre.  Le plomb s’étant révélé être un matériel résistant à l’acide, le procédé de synthèse à l’aide des chambres de plomb était mis au point (1746).  Vingt ans plus tard, en partie grâce à ce que l’on pourrait peut-être qualifier d’espionnage industriel, la France installait ses premières chambres de plomb à Rouen (nord-ouest de la France). 

En 1776, N. LEBLANC (1742-1806) mis au point un procédé de fabrication du carbonate de soude Na2CO3 à partir de l’abondant chlorure de sodium.  Les cristaux de carbonate étaient particulièrement recherchés pour la fabrication du verre, du savon,…

D’autres usines voyaient le jour : la porcelaine en Allemagne, en Angleterre, le papier, l’exploitation de la houille, la métallurgie,…  Bref, l’industrie chimique était lancée.

 

6. Le XIXe siècle : l’explosion de la chimie

Le début de ce siècle est caractérisé par l’établissement des diverses lois qui vont renforcer la théorie atomique de John DALTON (1766-1844) énoncée (publiée) vers 1807.  Après avoir analysé de nombreux composés  J. L. PROUST (1754-1826) énonçait en tout début de ce siècle (en fait en 1801) la loi des proportions définies, loi que l’on peut résumer ainsi : pour un composé déterminé, les éléments qui le constituent sont toujours combinés dans les mêmes proportions pondérales, quels que soient l’origine ou le mode de préparation de ce composé. Cette loi établit une différence entre un composé de composition chimique fixe et un mélange de composition physique variable.  On verra dans le cours d’ « Introduction à la physique atomique et nucléaire », chapitre  XIV, les limites à cette loi, celles découlant de l’isotopie atomique, isotopie bien évidemment inconnue à l’époque.  On observera également plus tard, de nombreuses exceptions en particulier avec les métaux de transition et leurs composés. 

Les composés comme les divers oxydes d’azote trouveront rapidement leur niche dans cette théorie.  La loi des proportions multiples énoncée par DALTON en 1804 vient en effet étendre la loi des proportions définies aux éléments qui se combinent de diverses manières : si deux éléments forment plus d’un composé, les différentes masses de l’un qui se combinent avec une masse fixe de l’autre sont dans un rapport simple de nombres entiers.

Dans sa théorie, tout en lui donnant une base scientifique, DALTON reprend le concept d’indivisibilité des atomes. L’argumentation théorique reprend les observations expérimentales disponibles à l’époque.

En fait, ce fut un allemand, J. B. RICHTER (1762-1807) qui exposa entre 1792 et 1793 sa théorie de poids de combinaison invariables en trois volumes.  Ses écrits peu faciles à lire sont restés dans l’ombre.  On lui attribue aussi d’avoir introduit le mot « stœchiométrie » provenant du mot grec « stoicheion » qui signifie élément.

On ne saurait compléter cette liste sans mentionner le chimiste italien A. AVOGADRO (1776-1856) qui, en réinterprétant les lois des rapports volumétriques de L. J. GAY-LUSSAC (1778-1850) par la théorie moléculaire, formule l’hypothèse selon laquelle des volumes égaux de gaz différents contiennent le même nombre de molécules.  L’admission de cette hypothèse hardie connut beaucoup de difficultés.  Il faudra une cinquantaine d’années pour qu’elle s’impose définitivement.

Plusieurs lois, en particulier sur les volumes sont venues compléter cette théorie.  Elles seront exposées dans le chapitre qui suit, chapitre consacré au gaz parfait.

Durant ce siècle et surtout dans sa deuxième moitié ce qu’on appelle maintenant plusieurs sous-disciplines de la chimie vont se développer.  La thermochimie va profiter largement des travaux de J. R. von MAYER (1814-1878) et de  J. P. JOULE (1818-1889), le premier énonçant (1842) et le second confirmant (1843) le premier principe de la thermodynamique, principe que l’on verra dans le cours de « Thermochimie », chapitre II, principe qui démontre l’équivalence dans la transformation travail – chaleur.

L’électrochimie doit son développement à plusieurs anglais dont le plus illustre est sans conteste Michael FARADAY (1791-1867) qui en plus de la théorie, introduit le vocabulaire et surtout décrit les lois de l’électrolyse.

Un suédois J. J. BERZÉLIUS (1799-1848) a marqué singulièrement le développement de la cinétique chimique tout particulièrement en observant les phénomènes catalytiques et le catalyseur qui « réveille les affinités assoupies des réactifs ».

La seconde moitié de ce siècle va connaître le développement important de la chimie organique et de la biochimie d’une part et de la chimie organique industrielle.  La synthèse organique se développe sous l’influence de plusieurs chimistes maintenant célèbres.  On en trouvera les noms et leurs faits dans un cours de chimie organique approprié.  Dans le secteur de l’industrie, les colorants et la pharmacie en Allemagne, la parfumerie synthétique, la découverte de gisements pétroliers aux États-Unis, la cellulose, les explosifs en Suède, etc., etc. vont alimenter ce secteur.

Limiter à la seule industrie organique les développements observés en cette deuxième moitié de ce siècle serait quelque peu déplacé. Disons seulement que les avancées dans une sous-discipline vont entraîner des développements majeurs dans les autres. 

Mentionnons entre autres noms quelques scientifiques associés à ces développements :

-         En chimie physique et générale,

o       L’autrichien L. BOLTZMANN (1844-1906) le créateur de la théorie cinétique des gaz – voir le cours de « Cinétique chimique », chapitre II;

o       le russe D. I. MENDÉLEIEV (1834-1907) et son célèbre tableau périodique – voir le cours de « Introduction à physique atomique et nucléaire », chapitre VIII;

-         En chimie minérale,

o       le belge E. SOLVAY (1839-1922) et son procédé de fabrication du bicarbonate de soude – voir le cours de « Thermodynamique chimique », chapitre XIII;

o       l’anglais H. BESSEMER (1813-1898) et son procédé de fabrication de l’acier – voir le cours de « Thermodynamique chimique », chapitre XI;

-         En cinétique chimique,

o       l’énoncé en 1867 de la loi d’action de masse fait par deux norvégiens : C. M. GULBERG (1836-1902) et P. WAAGE (1833-1900) – voir le cours de « Cinétique chimique », chapitre I;

-         En thermochimie,

o       Le français N. L. SADI CARNOT (1796-1822) et son célèbre cycle – voir une cours de thermodynamique approprié ;

o       Le développement du concept de l’énergie libre par l’allemand L. HELMOTZ (1821-1894) – voir le cours de « Thermodynamique chimique », chapitre IV;

o       La théorie des phases de l’américain J. W. GIBBS (1839-1903) – voir le cours de « Thermodynamique chimique », chapitre XI;

o       Les lois de RAOULT (1830-1901) – voir le cours de « Thermodynamique chimique », chapitre IX;

o       Etc., etc., etc.

 

7. Le concept de la mole

On l’a vu un peu plus haut, AVOGADRO avait formulé l’hypothèse que deux volumes égaux deux composés gazeux différents contiennent le même nombre de molécules.  On sait maintenant qu’il faut ajouter que ces volumes gazeux doivent être à la même température et à la même pression.  On connaît aussi la différence entre un atome et une molécule.  Si la majorité des composés gazeux sont constitués de molécules bi, tri, … poly atomiques, les gaz rares et en général les métaux s’y retrouvent à l’état atomique.

Il était dès lors pertinent de définir une quantité de matière basée non pas sur sa masse mais plutôt sur le nombre d’entités atomiques ou moléculaires.  Expérimentalement et jusqu’à récemment il était impensable de compter le nombre d’atomes ou de molécules.  Il est évidemment plus naturel de peser une quantité de matière.  On a ainsi proposé la notation ambiguë de l’ « atome-gramme » et de « molécule-gramme » pour bien indiquer qu’il s’agit du nombre d’entités chimiques dans une masse donnée.  On adopte maintenant la notion beaucoup plus claire qu’est la mole, un nombre invariable (indépendant de tout paramètre).  Ce nombre appelé le nombre d’Avogadro et est égal à 6,022 141 ´ 1023.  Par définition, c’est le nombre d’atomes de carbone présents dans 12,000 g de carbone-12.  Une mole d’une substance quelconque contient donc ce nombre d’atomes ou de molécules.

On doit remarquer ici quelques extensions de langage.  Par exemple, la notion de mole est aussi utilisée en parlant d’électrons, de photons,…  Par ailleurs, même si on parle du chlorure de sodium, la mole de NaCl contient l’équivalent de 6,022 05 ´ 1023 entités NaCl, correspondant à 58,45 grammes alors que ce sel est constitué d’ions Na+ et Cl- imbriqués dans un réseau tridimensionnel contenant sans doute des millions d’équivalents NaCl et non pas des entités NaCl.  Notons que ce n’est bien entendu pas le cas de tous les solides : l’iode solide par exemple est constitué d’un réseau tridimensionnel de molécules d’iode I2.

 

8. L’équation chimique

Avant de parler de l’équation chimique, il convient de revenir sur la notation même des éléments.  Il semble que ce soit DALTON qui le premier songea à représenter les éléments par des symboles.  Si l’écriture des noms chimiques au complet était plutôt lourde, son système basé sur des symboles géométriques était plutôt hermétique : chaque élément est représenté par un cercle portant un élément distinctif (Tableau 1.3).

 

Tableau 1.3.  Symbolisme utilisé DALTON

Elément Symbole Composé Symbole
hydrogène OH
azote NO
oxygène CO
carbone N2O
soufre NO2

 

C’est BERZÉLIUS qui proposa d’utiliser une ou deux lettres pour représenter les éléments.  En français, il est en général très facile d’identifier la ou les deux lettres retenues à l’élément, Cd pour cadmium, As pour arsenic, …  Il faut noter Na pour sodium (de l’allemand « natrium ») et W pour tungstène pour wolfram (autre mot allemand).

D’autres représentations parfois fantaisistes ont aussi été proposées.  Sans doute sous l’influence de quelque alchimie, les éléments sont aussi représentés par les 12 signes du zodiaque, évidemment en nombre insuffisant pour représenter l’ensemble des éléments.

La combinaison des lois des proportions définies, des compositions multiples et du nombre d’Avogadro trouve son application dans l’écriture représentant une réaction chimique : l’équation chimique. Par convention on écrit à gauche du signe égal (cas de l’équation) ou de la flèche orientée vers la droite (cas de la réaction) les composés réagissant et à droite des mêmes signes les composés chimiques formés.  Par exemple,

2 H2 (gaz)  +  O2 (gaz)  ®  2 H2O (liquide)

Cette équation indique que deux moles d’hydrogène réagissant avec une mole d’oxygène (ces deux réactifs étant gazeux), ils forment deux molécules d’eau à l’état liquide.  Ce type d’écriture s’étend aux ions en solution : 

Pb++(aq)  +  H2S(g)  ®  PbS(s)  +  2 H+(aq)

En faisant barboter une mole d’hydrogène sulfureux gazeux dans une solution aqueuse contenant une mole d’ions Pb++, on obtient une mole d’un précipité solide de sulfure de plomb et 2 moles d’ions hydrogène H+ qui demeurent en solution.

La synthèse de l’ammoniac à partir de ses éléments s’écrit de la même manière :

1/2 N2 (g)  +  3/2 H2 (g)  ®  NH3 (g)

ou encore au facteur 2 près :

N2 (g)  +  3 H2 (g)  ®  2 NH3 (g)

Toutes ces équations ont le mérite d’expliciter concrètement la loi des proportions définies, donc ce qu’il est convenu d’appeler la stœchiométrie de la réaction.  Les coefficients qui précèdent le symbolisme de chacune des molécules représentent le coefficient stœchiométrique.

Connaissant les masses des atomes (en valeur molaire), ces équations permettent d’effectuer tous les calculs stœchiométriques. Ainsi, si on fait réagir une masse de 28 g d’azote (1 mole d’azote) avec 10 g d’hydrogène (5 moles d’hydrogène moléculaire on obtient, en admettant que la réaction est complète, un mélange de 34 g d’ammoniac et de 4 g d’hydrogène moléculaire qui se trouvait en excès dans le mélange réactionnel.

Par ailleurs, dans les conditions de température (0 °C) et de pression (1 atmosphère) – conditions appelées conditions TPN - la mole gazeuse occupe un volume de 22,414 litres.  La dernière équation montre que le mélange réactionnel stœchiométrique occupe dans les conditions TPN 4 fois 22,414 lires, soit un volume de 89,66 litres.  Après réaction complète, le volume occupé par l’ammoniac n’est plus que 2 fois 22,414 litres. Cette réaction se fait donc avec diminution de volume (ici 50 %), bien entendu lorsque la pression est maintenue constante.

Ces deux exemples montrent une partie des possibilités et donc de la richesse du symbolisme utilisé.

 

 

9. Conclusions


Alors que certains philosophes de l’Antiquité avaient déjà imaginé la nature insécable de l’atome, le monde romain n’en a pas retenu l’idée.  Il s’en est suivi une longue période de stagnation pour la chimie.  Le Moyen-âge a surtout essayé de donner corps à la pierre philosophale tout en évacuant l’observation expérimentale et le sens critique.

Avec la découverte du Nouveau-monde, la Renaissance, les XVe et XVIe siècles ont vu le retour de la raison.  L’école allemande au XVIIe siècle énonce la théorie du phlogistique, une théorie fausse qui a le mérite de provoquer les scientifiques invités à se compromettre.  Plusieurs observations, et bientôt des observations scientifiques, vont reléguer cette théorie aux oubliettes, LAVOISIER mettant un terme à son emprise.

La méthode expérimentale quantitative va alors permettre un développement tout azimut de la chimie tant dans ses fondements théoriques que dans ses développements industriels.  La théorie atomique prend toute sa valeur : le tableau périodique et le concept de la mole n’en sont que deux produits les mieux connus.

 

 

Pour en savoir plus

Un livre très complet mais déjà ancien sur l’histoire de la chimie depuis l’Antiquité jusqu’au XIXe siècle y inclus des textes originaux de Lavoisier, Pasteur, Dumas,… :  « Chimie et chimistes » de A. Massain, Edition Magnard, 1952, 392 pages.

On lira avec intérêt le volume écrit par B. Wojtkowiak, Histoire de la chimie, TEC-DOC Lavoisier, Paris, 1984, 246 pages.  Ce volume a certainement inspiré une partie de ce chapitre.

Sur le NET:

On ne doit pas se priver de faire des recherches sur le Net tout en maintenant un regard critique sur la qualité et la fiabilité des sites observés.  Privilégier les sites gouvernementaux, universitaires, les grandes industries, les Fondations, ...

Une histoire de la chimie sur le web, en français, réalisée à partir d’un cours donné par le prof. Georges Bram, à la faculté des sciences de Paris Sud-Orsay.

De nombreuses informations et des biographies sont accessibles dans le Dictionnaire interactif des sciences et techniques.  Il faut s'inscrire et le site n'est pas gratuit. Cliquez sur http://www.sciences-en-ligne.com/

Également, on trouve des biographies de scientifiques mathématiciens (ou proche des maths) telles que celles de René Descartes, Evangelista Torricelli, Sir Isaac Newton.  Ce site en anglais provient de l’école de mathématiques, Trinity College, Dublin, professeur David R. Wilkins.

Mais aussi encore d'autres sur Wikipedia dont celles de Lavoisier, Fadaday et plusieurs autres. 

Un site en anglais dédié à l’alchimie, entretenu par M. Adam McLean, Glasgow, Angleterre.   

  Dernière mise à jour : 2020-11-23